Pour une éthique contemporaine

(et des valeurs  pour permettre  de trouver  un sens  à sa vie)

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I) De quoi parle-t-on ?

La morale est rattachée à une tradition historique et souvent religieuse. Elle distingue entre ce qui est et ce qui doit être. Selon le dogme, la morale désigne toujours les mœurs. Il est préférable de parler de morales au pluriel car elles varient suivant les sociétés, les religions et bien sûr les époques.

Une morale produit des renoncements à la sauvagerie des pulsions, mais, parfois, elle agit avec une sévérité qui entraîne des ravages supérieurs à ce qu’elle combat. Certains désirs innocents sont puissamment contrariés puis associés à des camisoles morales tels la culpabilité, l’angoisse, la faute, le péché, l’interdit, la peur. Les personnes les plus conformistes pensent que ces appréciations correspondent à une morale éternelle et absolue. La morale se confond alors avec la conformité qui procure un sentiment de confort et de puissance.

Différemment,  l’éthique est la réflexion sur la morale, elle est liée à une tradition contemporaine, humaniste, qui cherche à améliorer la perception de la réalité par une attitude « raisonnable » dans la recherche du bonheur pour tous.

Le terme « éthique » est utilisé pour qualifier des réflexions théoriques portant sur la valeur des pratiques et sur les conditions de ces pratiques ; l’éthique est aussi un raisonnement critique sur la qualité des actions. L’éthique aurait donc ses fondements dans une décision dite rationnelle prise à partir d’un libre dialogue entre des individus conscients des savoirs et des cultures. L'étymologie renvoie à la philosophie grecque que l'on peut considérer comme la source de la philosophie occidentale. Depuis Aristote (éthique à Nicomaque) en passant par Platon, Epictète puis plus tard Spinoza, Kant, Nietzsche et actuellement Paul Ricoeur, Ruwen Ogien, pour ne citer que quelques uns, exprimèrent une pensée éthique correspondant à leur époque.

L'éthique se définit dans le sens d'une visée dynamique qui permet l'estime de soi comme peut le représenter partiellement  l'idéal du moi alors que la morale, par son caractère interdicteur, se retrouve dans la logique du surmoi freudien.

Cependant, la distinction entre la morale et l’éthique n’est pas toujours si contrastée et l’ensemble regroupe globalement la sphère des valeurs et du discours sur les valeurs.

Ces valeurs, indispensables pour créer et structurer un minimum la vie collective et la vie sociale et nous préserver de la violence de la barbarie, constituent  un système essentiel de l’identité individuelle indispensable à tout un chacun.

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II) Regard de la psychologie clinique et de la psychanalyse

                   a) La psychanalyse comme moyen d'analyse de la société

Freud a étudié les différents phénomènes psychologiques liés à la morale et a produit des pistes théoriques toujours intéressantes à explorer de nos jours. Toute sa vie, il a fait preuve de courage face aux plus dures épreuves, et sa volonté de créer un concept nouveau l’a amené à mépriser les compromis, la faiblesse morale et les hypocrisies d’une certaine morale traditionnelle.

En ce qui concerne cette morale sexuelle traditionnelle de son temps, il la condamne. Il est partisan d’une vie sexuelle beaucoup plus libre. « Freud change le regard sur la sexualité. Aussi sera-t-il accusé par toutes les religions,  particulièrement le catholicisme, d’être un profanateur de la famille, un dynamiteur de la société, un démon darwinien et un obsédé sexuel. Pourquoi ? parce qu’il considère que la société bourgeoise bride le désir sexuel. Au lieu de pointer du doigt l’anormalité, il va montrer que tous les conflits à l’origine de l’être humain sont au départ sexuels et liés au désir » (Elisabeth Roudinesco 2009).

L'homme doit comprendre que c'est lui, et non des instances divines, qui a créé les lois et les commandements de la morale pour son propre intérêt. Les sciences humaines, et spécialement la philosophie, sont des sources d’inspiration capables de remplacer avantageusement les traditions et la religiosité dans leurs rôles de créateurs d’une éthique contemporaine.  Freud affirme le lien étroit entre le développement de la civilisation et de l'individu. Il a été le premier et jusqu’à présent le seul parmi les psychanalystes à avoir mené pendant trente ans une réflexion sur la morale.

Lacan avait l’art des formules qui ouvrait la réflexion, celle-ci « l’éthique c’est de ne pas céder sur son désir » peut signifier ne pas laisser son désir devenir son maître ou bien une invitation d’aller au bout de son désir afin de s’en libérer et donc qu’il ne devienne pas notre maître. Cette autre formule de Jacques Lacan « que c’est la femme, en tant qu’elle n’est pas toute entière prise dans la jouissance phallique, qui s’approche le plus facilement de la position éthique » pose la question de la différence fondamentale entre l’homme et la femme face au sentiment moral.

Freud avait ouvert la voie d’une recherche constante pour comprendre les interférences des pathologies de la société sur les pathologies individuelles.

La conscience morale et le renoncement pulsionnel sont en interactions continuelles, l’excès ou le plus souvent l’inadaptation de l’éthique crée certaines pathologies, le manque en crée d’autres.

Lorsque la morale est inadaptée, elle se soucie fort peu du moi : elle édicte un commandement sans se demander s’il est possible de l’observer. La sexualité en paie un lourd tribu, la satisfaction compensatoire est une satisfaction narcissique qui est en droit de se considérer comme meilleur que ne sont les autres. Ce système s’étaye sur un système de contraintes créant des pressions, de la violence et un déchirement du tissu social existant.

Déjà il y a un siècle, Freud déclarait que l’on ne peut pas exiger de l’homme une trop grande sublimation de ses pulsions, sans quoi on fait le jeu de la désintrication, au plus grand bénéfice de la pulsion de mort. Les exemples sont nombreux où l’on voit que les entreprises ou les institutions diverses exigent toujours plus de l’homme et se fait son ennemie de son bonheur personnel, de sa libido et de ses désirs de couple.

« Le Psychanalyste ne peut plus rester, de nos jours, dans son cadre neutre et confortable, sa tour d’ivoire en retrait du monde, et analyser les transferts individuels sans se sentir concerné par les projections idéologiques de la société sur la psychanalyse elle-même, à travers les images caricaturales et les questions qui lui sont posées par les médias. D’abord, parce qu’il ne se contente plus de recevoir des patients névrosés, bien insérés socialement et peu malades, comme autrefois, et que les sujets-limites (au limite de la folie) sont les plus vulnérables aux crises idéologiques de la société. Ces patients au narcissisme fragile sont avides de certitudes idéologiques, car ils investissent le Surmoi collectif et les idéologies comme un étayage pour leur Surmoi individuel inachevé et leurs carences représentatives. » (François Duparc).

« le Psychanalyste doit acquérir une connaissance des idéologies dans lesquelles  il est inscrit sans le savoir ou sans le vouloir par sa propre culture, son histoire et sa formation théorique personnelle. Comme le contre-transfert, l’idéologie dans laquelle on baigne est souvent inconsciente et demande un travail pour être mise au jour, déjouant le confort de l’illusion et de la banalité » (Le Guen)

 

               b) Les nouvelles pathologies mentales

Les enseignants, tous ceux qui ont une fonction d’aide aux personnes mais aussi, bien sûr, les praticiens, s’interrogent sur la question des nouvelles pathologies (dépressions, addictions, pathologies narcissiques, crises de l’adolescence, crises de milieu de vie, stress professionnel…). Une étude récente de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) montre que le nombre de  cas de dépression s’est multiplié par 7 pendant les 30 dernières années dans les pays industrialisés. La dépression est la maladie de notre temps comme pouvait l’être l’hystérie à la fin du 19è siècle.

Les psychothérapeutes et les psychanalystes constatent au quotidien les carences ou la confusion des valeurs chez nombre de leurs patients, certains même peuvent être considérés comme « malades des idéaux ».

Ces personnes peuvent ressentir des exigences glanées dans leur histoire personnelle qui s’imposent comme impératives mais sans en posséder le mode d’emploi. D’autres, de plus en plus nombreuses, se retrouvent privées du minimum de références qui est indispensable à l’émergence de désirs.

Face à la difficulté de trouver un sens à leur vie, certains restent dans l’oisiveté, l’aide sociale, d’autres demeurent dans un vide existentiel propice au développement de pathologies diverses.

Ce que les psychanalystes nomment l’idéal du moi ne se confond pas avec la définition des systèmes de valeurs mais l’idéal du moi sera lié à la conscience morale et la crise actuelle des valeurs interfère sur la mise en place et sur la force de l’idéal du moi. L'idéal du moi se présente comme "celui que j'aimerais être", c’est l’introjection des parents idéalisés (souvent complétée par un éducateur ou un maître estimé). Cette instance a un rôle très positif dans l’énergie quelle apporte, capable de dynamiser l’individu vers des actions souvent  sociales, c'est-à-dire du désir d’être grand qui a quelque chose à voir avec la définition Nietzschéenne du surhomme et de la volonté de puissance.

L’idéal du moi a un rôle important pour la compréhension de la psychologie collective, c’est un concept charnière entre l’individuel et le collectif.

Contrairement au surmoi qui juge pour condamner et vient souvent inhiber ou restreindre les désirs, l’idéal du moi peut, par contre, être un moteur d’excellence irremplaçable à la réalisation de chacun.

A l’opposé, un surmoi excessif, « sadique » réprime tellement les pulsions qu’après avoir produit de l'agressivité contre ceux qui en sont à l'origine, se retourne contre le sujet et génère de la culpabilité et de l'angoisse.

Plusieurs travaux de recherche tant en France qu’à l’étranger ont été consacrés au rôle de l’idéal du moi dans la dépression névrotique et mélancolique. Voir Francis Pasche, Edith Jacobson et bien sûr Janine Chasseguet-Smirgel sur la maladie d’idéalité où l’idéal du moi est l’élément central.

Bien qu’il n’existe aucune structure psychique profonde et stable spécifique à l’addiction, n’importe quelle structure mentale peut conduire à des comportements d’addictions (visibles ou latents) dans certaines conditions de manques et d’insatisfactions.

L’addiction est une tentative de défense et de régulation contre les déficiences ou les failles occasionnelles de la structure profonde de la personne. Mais cette tentative de soulagement est rapidement limitée, car une autre souffrance intervient alors, c’est la dépendance. Certes la dépendance aux additions n’est pas seulement contemporaine mais elle s’est largement développée depuis ces dernières décennies.

Le public venant consulter des « psy » s’est largement multiplié mais avec des questions souvent de bon sens auxquelles ces patients ont difficulté à répondre eux-mêmes spontanément et il n’est plus rare de voir des professeurs de philosophie  devenir praticiens en proposant des consultations pour aider ce public en  recherche de repères.

La profusion de ces nouvelles pathologies rend le cadre psychanalytique classique souvent peu adapté, ainsi de nombreuses formes de psychothérapies voient le jour.
 

                c) L'évolution des moeurs et de la sexualité

Les pratiques sexuelles, la recherche des partenaires, les mariages, les moeurs, représentent l'identité d'une société. Cette éthique qui régit tous ces comportements n'est donc pas la moindre, voyons son évolution.

Les trois religions monothéistes, et tout spécialement la religion catholique, posèrent des systèmes de valeurs et des interdits puissants pour empêcher l'homosexualité, l'amour libre et organiser les couples et les familles.

Pour les religieux, la pratique sexuelles est même carrément interdite dans la religion catholique, montrant là l'idéal de pureté. La logique du Dieu unique et de de la transcendance est de canaliser la pratique sexuelle et de la sublimer au profit de l'admiration pour le seigneur au détriment de l'intérêt et de l'admiration envers le partenaire ou le conjoint qui apporte alors la jouissance.

Le corps lui-même est désinvesti, mortifié comme le corps du Christ supplicié qui représente un rapport si particulier au corps humain. Ce Christ est victime de nos  péchés, de la bêtise, de la méchanceté  des humains. Comment, dans ces conditions, jouir avec ce corps qui devient difficilement accessible à la sensualité ?

La logique de la sainte conception, comme la vierge Marie, contribue  au refoulement et  à l'inhibition du registre phallique et de la volonté de puissance réservés au  dieu tout puissant et donc déniés aux communs des mortels. Dès le début du christianisme (deuxième moitié du IIe siècle), l'abstinence sexuelle est pratiquée, et vivre abstinent est se rapprocher de Dieu dans l'espoir de s'unir à lui.

La pensée antique est caractérisée par le dualisme du corps et de l'âme ; la pensée chrétienne, elle, est caractérisée par le dualisme du corps et de la chair.

Il se dégage un double idéal :

- celui du mariage chaste avec seulement une sexualité limitée à la conception d'enfants

- celui de l'abstinence angélique réservé aux élus de la vocation, aux saints,

ce deuxième idéal étant valorisé comme supérieur au premier mais, dans les deux idéaux, l'inhibition sexuelle se trouve très présente.

Lentement mais sûrement, le mariage acquiert sa renommée, étayé par la naissance de l'amour et de l'amour courtois dans la littérature du XIIe siècle pour parvenir à la glorification de l'amour du 15e au 18e siècle. Cependant, durant le grand siècle des lumières, la littérature et le théâtre marquent de plus en plus la distinction entre sentiment et union conjugale (Marivaux, Molière, Montesquieu).

Lors de la révolution, furent institués le mariage et le divorce civil, privant le clergé du monopole de cette fonction. Certains historiens disent que la révolution française trouva sa source dans la volonté d'en finir avec les contraintes de la monogamie catholique. Façon de souligner comment l'éthique familiale et sexuelle est l'identité de la société.   

Le 20e siècle apporta sa révolution, tout spécialement dans les années 70,  poussée par la contestation étudiante et aidée par l'arrivée des technologies et les reconnaissances de droit de l'avortement et de la contraception.

L'institution du mariage est alors attaquée de toutes parts. La pratique contemporaine (tout spécialement dans les grandes villes) tend à étendre et à généraliser le mouvement amorcé. Le Pacs nouvellement créé, à l'origine pour les unions homosexuelles, est adopté par de nombreux jeunes couples hétérosexuels. Le nombre de pacs va rejoindre le nombre de mariages à Paris.  Le nombre de divorces augmente pour dépasser 50% des mariages (pour atteindre même les 2/3 dans les grandes capitales occidentales).

La double exigence contradictoire, à savoir aimer et rester libre, devient le dilemme contemporain. Comment concilier l'amour et la passion qui attachent à la liberté qui sépare ?


            d) Règles du jeu dans le couple contemporain                                  

La thérapie de couple est la forme de psychothérapie  qui connait actuellement l'évolution la plus rapide. Elle correspond à une attente des couples contemporains, à savoir : des questionnements et des confusions. La synthèse de nombreuses problématiques montre qu'il existe un paradoxe majeur : comment concilier la morale classique de l'engagement définitif non résiliable et fidèle à l'éthique actuelle qui accepte la remise en cause et attend la qualité, la performance et le bonheur permanent.

Lors de la recherche du partenaire, et ensuite pendant la phase d'évaluation où chacun se questionne sur la durabilité de la liaison engagée, l'enjeu est considérable. Le jugement ne se cantonne plus à savoir si les positions sociales sont compatibles et acceptables par les familles mais aussi de savoir si la qualité du désir, le potentiel de réalisation, la sociabilité, l'empathie, la sensibilité, la possibilité d'être un bon parent, sont conciliables et pour cela sont évalués longuement avec une complexité qui repousse l'installation du couple à la trentaine, voire souvent au-delà.

Ce n'est pas seulement l'excitation physique qui nous fait désirer et choisir son (ou sa) partenaire, mais également la conscience des manques personnels que l'on peut ressentir. Cette complémentarité est un élément puissamment fédérateur « j'admire ce que je ne possède pas et qu'il (ou elle) possède avec talent et qu'ensemble ainsi nous pourrons réaliser de grands projets ». C'est dans cette logique que les psychothérapeutes de couple soulignent le rôle déterminant du mythe fondateur du couple.

Dès la naissance du couple, le positionnement de chacun entre dans le jeu amoureux. Les conflits de pouvoir, les  arrangements sexuels, les prises en main des tâches sont des sujets de discussions et de confrontations pas toujours faciles à régler.

Les conceptions du couple étant nombreuses et variées, elles doivent s'entendre et se négocier au prix de certains renoncements mais avec imagination et en correspondance avec la personnalité des partenaires.

Les désirs, pour se satisfaire, établissent des stratégies en bonne partie inconscientes et entrent en jeu dans une logique où la séduction doit être dominante pour éviter la contrainte et bien évidemment la violence.

Grâce à une éthique raisonnée et esthétique, les couples contemporains offrent une place grandissante à la sensualité, à l'imagination et à la personnalisation.

Ces observations actuelles sont fondamentales puisqu'elles montrent que nous sommes passés d'un système d'une morale globalisante à un système éthique que l'on peut appeler « une éthique de consentements mutuels ». Ces consentements, ces contrats passés entre les partenaires sont  diversifiés et ne manquent pas d'étonner ceux qui restent inscrits dans les traditions.

"Les règles du jeu ont changé mais les règles d'autrefois sont encore opérantes, c'est la superposition de ces différents repérages qui explique notre désorientation actuelle tout est caduc, tout est pertinent." Pascal Bruckner

 
  III) Apports de la philosophie


                  a) Rôle de la sagesse antique dans notre monde actuel


La philosophie morale de la Grèce antique se développa sur une période de plus de 10 siècles, débutant au VIe siècle avant JC et s’achevant avec le développement de la pensée chrétienne. Cette période permit l’émergence de pensées et d’idées dont une diversité de concepts qu’il reste à redécouvrir. La  sagesse grecque est riche d’enseignement pour toutes réflexions et recherches concernant l’éthique et les idéaux du futur.

Profitons de l’occasion pour préciser ou corriger quelques idées répandues plus ou moins éloignées des idées originales de ces philosophes :

Socrate était le modèle de la sagesse antique, il prônait la cogitation, l’humilité, l’acceptation de l’ignorance et le respect du droit de la cité. Dans la période contemporaine soumise à la toute puissance des émotions, il est utile de rappeler la position de Socrate : «  Les sens importunent le penseur et l'Homme moral en l'incitant à la passion, à la colère, au plaisir immédiat. Il faut s'en affranchir autant que possible : c'est la condition première d'une connaissance possible et d'une véritable moralité ».

La philosophie contemporaine engage le débat entre la transcendance et l’immanence. Platon fut le précurseur de la transcendance, il défendit la thèse, selon laquelle les "meilleurs" doivent gouverner, parce qu'il conçoit la politique comme une sorte de rédemption, d'éducation. Celui qui gouverne doit éduquer le peuple, ignorant, au bien, et cela parce que, seul, il a la connaissance du bien. La tâche première du politique n'a donc rien à voir avec la gestion (administrative et économique) des affaires communes. Il s'occupera avant tout de rendre les hommes meilleurs, il cherchera à convertir la cité humaine aux valeurs transcendantes. La politique a donc une fonction idéale. Par ailleurs, la théorie de l’amour platonique, développée de nombreux siècles plus tard, n’est pas fidèle à la pensée de Platon.

Le concept de l'amour platonique est une dérive sémantique éloignée de la pensée de Platon, ce concept engageant la chasteté davantage par peur de la punition divine que par amour philosophique. Pour sa part, PLATON accordait une place naturelle aux relations charnelles expliquant que la sexualité est nécessaire pour avancer sur le chemin menant à la vérité.

Dans le langage courant actuel, l'image de l'Épicurien  est celle du jouisseur de la bonne chair et du sexe, la jouissance sans limite, elle ne correspond pourtant pas à la théorie épicurienne. Pour certains, le Jardin d’Epicure était un lieu de débauche, mais de telles idées semblent largement excessives et cette renommée bien éloignée de la théorie épicurienne.

La vie que mena Epicure dans son jardin fut simple et frugale, il était végétarien, un verre de vin lui suffisait, et il buvait de préférence de l'eau, il professait et pratiquait un hédonisme ascétique. La gestion « intelligente » de la sensualité tenant compte du désir et du consentement de son partenaire permet de donner à la sensualité une vraie place  vertueuse  et indispensable à la vie.

L’épicurisme désigne la terre ici et maintenant comme lieu où le bonheur doit être recherché. Pour y accéder, satisfaire d’une façon raisonnée les plaisirs dans le cadre d’une vie sage, tempérée, contemplative et vertueuse. Epicure enseigne que ce ne sont pas les beuveries continuelles qui rendent la vie heureuse, ni les plaisirs des débauchés ni les jouissances matérielles, mais au contraire une raison vigilante qui cherche minutieusement les motifs de ce qu’il faut choisir ou éviter. L’épicurien respecte les vrais besoins de la nature et refuse ce qui en dépasse les limites. La modération est une vertu importante. Le choix de vivre sans troubles, l’ataraxie, implique le respect des lois pour éviter les sanctions de la société qui veut protéger ce qui est utile. Le droit et le plaisir sont  basés sur l’intérêt mutuel et la réciprocité, avec une attention particulière pour que la satisfaction des désirs se fasse dans le respect des désirs de ses partenaires.

La tradition parle du tétrapharmacon épicurien, quadruple remède évoqué dans la lettre d’Epicure à Ménécée :

- on ne craint pas les dieux

- on ne craint pas la mort

- on peut atteindre le bonheur

- on peut supporter la douleur

Aujourd’hui,  la vie moderne et sa communication intense nous encombre d’informations souvent contradictoires, sans réel intérêt et parfois extrêmement éphémères.

L’influence de la publicité commerciale, de la propagande politique, des lobbyings nous obligent à la prudence et le  scepticisme est une notion à réhabiliter.

Protagoras affirme que sur tout sujet, on peut opposer des raisons contraires. Socrate affirme que tout ce qu'il sait, c'est qu'il ne sait rien (belle humilité du savoir qui n’est guère de mise aujourd’hui).

De nombreux aspects de ce qui s'appellera plus tard le scepticisme imprègnent ainsi la civilisation de la Grèce.

                                
                  b) Analyse de la morale et des idéaux dans la civilisation judéo-chrétienne

Si une bonne part des fondements de notre civilisation sont dans les acquis de la Grèce antique, notre civilisation fut marquée profondément par le développement de la religion chrétienne. Le renoncement plus ou moins prononcé à la sexualité a été très tôt une caractéristique fondamentale du christianisme, ce renoncement est porté par les idées de continence, de virginité, par l’esprit de sacrifice mais également par la réorientation du désir de l’homme vers Dieu.

La personnalité et le rôle de Paul de Tarse seront déterminants dans le positionnement de la chrétienté envers la sexualité, le rôle de la femme, du couple et l’organisation familiale.

Repris par l’empire romain, ce système de valeurs fut utile à son unité et à son expansion. Le monothéisme avait des vertus d’ordre, d’unité et de reconnaissance de l’autorité.

Le catholicisme  favorisa pendant de nombreux siècles le respect des institutions et développa assez largement l’inhibition des pulsions sexuelles. Les différentes monarchies européennes  partageaient leur pouvoir avec celui de l’église.

D’une façon lente, progressive, irréversible, ces fondements seront spécialement en France remis en cause; le siècle des lumières, la révolution française, l’installation de la laïcité seront des étapes déterminantes.

L’aspiration à plus de justice, l’abolition des privilèges, l’émancipation des peuples ont représenté de telles énergies que rien n’a pu les arrêter. Liberté, égalité, fraternité seront les valeurs de la république. L’église essaya de composer en évoluant sous la pression des érudits mais surtout des mouvements populaires, cette évolution devint plus difficile lorsque ses fondements mêmes furent remis en cause.

La finalité de la morale spinoziste est exposée dans l’"Ethique" que Spinoza a dû renoncer à publier pour des raisons de sécurité. Il oppose aux faux sentiments et comportements (crainte, honte, tristesse…) les vrais sentiments basés sur des idées positives (joie, amour, béatitude) dirigés par l’entendement. Partager la vraie connaissance permet de profiter de la vie en chassant les idées tristes de la haine, de la vengeance et de la mort.

Emmanuel Kant, soutient dans "Critique de la raison pratique" (1788) qu'une action est moralement bonne si elle s'accomplit par pur respect du devoir sans considération pour un intérêt ou une satisfaction espérée. La moralité se mesure donc dans l'intention qui conduit à l'action et non sur son aspect extérieur. La loi morale s'exprime sous forme d'un devoir impératif ("tu dois") tel qu'il puisse être érigé en règle universelle. Dieu, la liberté de la volonté et l'immortalité de l'âme ne sont pas du domaine de la connaissance mais des postulats nécessaires à la raison pratique en tant qu'exigence rationnelle de la morale. Pour le philosophe allemand, l'existence de Dieu est donc une nécessité morale. Sa morale, cependant, ne se fonde pas sur la religion mais sur l'autonomie de la volonté.
Kant aborde également dans "Critique de la faculté de juger" le jugement esthétique et la téléologie (étude de la finalité des êtres et des choses). Ne croyant pas à la Révélation, ni en l'Incarnation de Dieu en Jésus, (lequel perdrait sa valeur d'exemple) il est cependant persuadé de l'utilité de la religion pour l'ordre et la paix sociale. Kant défend l'idée d'une religion morale dans laquelle Dieu, dont l'existence ne peut être démontrée, est l'initiateur de la conscience morale.

Nietzsche rejette les critères traditionnels du bien et du mal et s'en prend violemment à la morale chrétienne qui valorise la pitié et l'humilité.

Le moralisme n'est qu'une mièvrerie bien pensante, dans un contexte où le bon est associé à l’exaltation. Ce moralisme dénoncé par de nombreux philosophes est cependant l'arme favorite de nombreux traditionalistes et religieux, tout spécialement des intégristes appartenant aux religions monothéistes. Le moralisme aboutit inéluctablement au conflit, à la violence et au final au terrorisme qui est un retour évident à la barbarie.

Selon Nietzsche c'est la moraline, avec  son expression célèbre : « l'éternel retour de la moraline »,

Dans la Généalogie de la morale (1887),  Nietzsche considère la morale, comme la "morale des esclaves", c'est-à-dire un renoncement à la vie et un refoulement des instincts qui conduit à la servilité et à l'ascétisme, permettant aux plus faibles de prendre la place des plus forts. Il l'oppose à la "morale des maîtres", c'est-à-dire des hommes libres, qui affirme des valeurs héroïques et prône le surpassement de soi à travers la volonté – La volonté de puissance – bien entendre que cette volonté de  puissance n’est pas une volonté d’écraser les autres. Le "bon" est associé au "noble" et être "méchant" un signe d'infériorité.

Cette « volonté de puissance » peut être entendue par la psychanalyse comme une valeur essentielle à la vie, une énergie libidinale de liaison et d’investissement. Oeuvre du registre phallique, elle peut apporter énergie et accomplissement de soi. Cette valeur noble et conséquente n’est-elle pas une excellente antidote à la dépression ? Elle n’est pas un simple vouloir de pouvoir ni une pulsion auto-conservatrice ou de « faire-valoir », certes la puissance n’est pas le dernier mot du désir qui peut s’exprimer par d’autres voies, le tout est de lui attribuer sa juste place dans l’économie pulsionnelle.

Ce concept place Nietzsche comme un des précurseurs de la psychanalyse et dont l’influence complexe sur  Freud reste mystérieuse.

                  c) Positionnement de la philosophie contemporaine

 
Camus  essaya de définir un humanisme lucide, généreux dans l'action, sensible à la misère du monde, et une morale collective qui exalte la solidarité humaine devant le mal et les épreuves de la vie. L'homme doit toujours s’efforcer à développer fraternité et amour.

D’autre part l’exigence morale est omniprésente dans l’œuvre d’Albert CAMUS qui ne cesse de s’interroger sur le rapport de l’homme à la société. Camus critique la morale intransigeante qui place la personne en juge de l’autre « morale contre moralisme » ou éthique contre les excès de la morale. Il aimait résumer son roman « l’étranger » par cette phrase célèbre « celui qui ne pleure pas le jour de l’enterrement de sa mère est condamné à mort par la société » Dans ce roman, le personnage de Meursault est jugé et condamné à mort non parce  qu’il a tué un arabe (ce qui était fréquent pendant cette période trouble de l’Algérie française) mais par son immoralisme supposé à l’endroit de sa mère mais aussi à l’endroit de son incroyance en Dieu. Camus s’appliquait à débusquer les impostures religieuses ou politiques, obsession à rechercher les risques de mensonges.

Malgré son prix Nobel, il fut longtemps mis à l’index de l’université française largement sous influence sartrienne, sa volonté de démasquer les dérives communistes des années 50 lui valut des critiques vives de son œuvre et de sa quasi censure.

Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et le mouvement existentialiste centrés sur la critique des valeurs de la bourgeoisie confirmèrent la nécessité d’élaborer des idéaux résolument en rupture avec ceux existants, les valeurs reconnaissant la liberté ne s’enracinent que dans des choix individuels, à chaque instant révisables.

André Comte-Sponville donne une définition simple de la morale : C’est l'ensemble des règles qui respectent les droits des autres.
A l'inverse du moralisme qui dit ce que l'autre doit faire, la morale, c'est ce que je dois faire. Etre en règle avec la société n'exempte pas d'être en règle avec sa propre conscience.
Pour savoir si une action est condamnable ou pas, il faut se demander ce que deviendrait le monde si chacun faisait ce qu'il a envie de faire.

 Ruwen Ogien s'efforce actuellement de mettre au point une théorie éthique qu'il nomme éthique minimale. C'est une éthique d'esprit anti-paternaliste qui voudrait donner des raisons de limiter autant que possible les domaines d'intervention de ce qu'il appelle, à la suite de John Stuart Mill, la « police morale ». Cette théorie éthique  présente son principe d’intervention limitée aux cas de torts flagrants causés à autrui.

Radicalement athée, Michel Onfray rappelle les fondements des religions « Le propre de toutes les religions est de récuser le discours rationnel, philosophique, au profit d’une pensée magique dans laquelle tout est intellectuellement permis. L’obscurantisme fait la loi dès le début, car l’essence de la religion c’est le déni de la mort et l’affirmation qu’après sa venue nous vivons encore, sous une autre forme, certes, mais que nous persistons, et ce pour une vie éternelle. A partir de ce mensonge fait à soi-même, tout devient possible. Et l’on sait combien un mensonge originaire oblige ensuite à une série d’autres mensonges destinés à légitimer le premier. »  Il propose de réconcilier l'homme avec son corps, machine sensuelle, et de bâtir une éthique fondée sur l'esthétique et le respect de l'autre avec sa différence.

Le XXe siècle, avec la légalisation de l’avortement, de la contraception, la reconnaissance du divorce, nous amena à un point de non retour. Ces lois nouvelles entrent en conflit profond avec les lois des trois religions monothéistes. Première pierre de l’édifice, le décalogue ne peut plus assurer de nos jours son rôle de référence sérieuse ; comment, dans ces conditions, l’édifice peut-il se maintenir sans une reconstruction complète ?

Dans notre siècle numérique actuel, l’accès à l’information, à la communication, est tellement prodigieux qu’il n’est pas aisé d’en prendre véritablement conscience ici et maintenant et encore moins aisé d’émettre des idées prospectives d’avenir.

Notre possession  de tous les acquis précédents peut être tellement fine et complexe que nous constituerons comme certain la nomme « la civilisation des civilisations ». Doit-on parler de manque des valeurs ou de trop de diversités dans celles-ci ?

« La libération au moins partielle de l’individu n’a pas placé celui-ci devant le rien du nihilisme philosophique, mais au contraire devant ‘un trop’ : les modèles qui se présentent à lui sont nombreux. L’individu peut se tourner vers le passé (catholicisme évangélique, intégrisme, conversions au bouddhisme, à l’islam, communautarisme, sectes…) ; il peut s’enflammer pour le romantisme révolutionnaire de l’ultra gauche, s’engager dans les combats de l’altermondialisation ou plus simplement et plus généralement, adhérer aux thèses de l’idéologie marchande, du new age, du développement personnel. Il peut aussi revendiquer sa singularité et chercher refuge dans un groupe (gay, deep ecology, etc…) »

   Gérard MENDEL 2004

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IV) La société contemporaine à la recherche du bonheur

Selon Frédéric Beigbeder auteur à succès censé représenter une certaine partie de la société
contemporaine, dans une société hédoniste aussi superficielle que la notre, les citoyens du monde entier ne s'intéressent qu'à une chose la fête, le sexe étant, implicitement, inclus là dedans : le fric permet la fête qui permet le sexe. C'est une remarque excessive et cynique mais c'est l'expression de la souveraineté des individus dans leur quête insatiable des plaisirs.
Le mot qui est sur toutes les lèvres des philosophes contemporains : l'hédonisme, terme philosophique (système qui fait du plaisir le but de la vie) peut-il se résumer par cette maxime : Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà, je crois, toute la morale ?

Les PSY formés à la Psychiatrie, à la Psychopathologie ou à la Psychologie clinique sont capables d'appréhender les pathologies mentales diverses et d'aider les personnes souffrant de culpabilité, d'inhibition, de dépression, de phobies, de troubles du comportement et bien sûr de troubles mentaux plus sérieux comme les psychoses. Il en va autrement du mal-être contemporain et de la difficulté à trouver des repères et des idéaux solides, les Psy sont souvent désarmés face au vide existentiel et aux manques de repères et d'idéaux de bon nombre de contemporains.

Le mouvement de la psychologie positive (Martin Seligman, Sonia Lyubomirsy et quelques autres) se positionne en dehors de la psychopathologie et de la psychiatrie. Ce mouvement s'intéresse à des thèmes aussi naturels que la force de caractère, l'altruisme, le flow(ce bien-être optimal lié à l'exercice d'une activité où on excelle), la clémence envers les autres, l'esprit civique. Et la résultante de tous ces facteurs : le bonheur. Il faut cesser de croire que le bonheur est affaire de chance ou de destin, l'aptitude au bonheur peut se cultiver. D'abord par un renoncement, renoncer à le chercher obstinément là où il ne peut se trouver; dans une nouvelle voiture, un nouveau job, un nouvel amour...
Car toutes ces gâteries qui nous tombent dessus sont grignotées systématiquement par un phénomène sournois baptisé "adaptation hédoniste" or nous nous habituons très rapidement à ces améliorations de notre sort et l'euphorie terminée nous revenons là où nous en étions.
Pour éviter ce phénomène-là, il est proposé des exercices qui forment une stratégie.
Exprimer sa gratitude, s'émerveiller, apprécier ce qu'on a, se réjouir de ce qu'on vit, éviter de se comparer à autrui, pratiquer des actes de générosité, cultiver consciencieusement l'amitié...
Cette stratégie montre un retour vers des fondamentaux ( idéaux, système de valeurs).
Le recours à la philosophie est un moyen non concurrent aux psychothérapies mais complémentaire et ô combien utile dans la recherche d'un équilibre et à l'accès au bonheur.
A ce titre, la sagesse grecque nous est bien utile et les trois repères fondamentaux

qui se détachent sont des repères irremplaçables à savoir : le scepticisme, le stoïcisme et l'épicurisme. La philosophie épicurienne offre le trésor d'une philosophie efficace et puissante qui apporte des réponses simples et concrètes à cette recherche du bonheur, cette philosophie propose une pensée facile à saisir et d'un usage réel. Les principaux penseurs : Démocrite (460-370) Epicure (342-271) Lucrèce (98-55) Philodème de Gadara (110-40)

La philosophie épicurienne propose d’atteindre le bonheur grâce à une gestion rigoureuse des plaisirs évitant tout ce qui peut troubler la quiétude. Les excès deviennent des addictions pouvant conduire à des mises en danger que l'on risque de payer cher ensuite.

Tout désir n'est pas à satisfaire. Pour Epicure, ils sont de trois ordres :
1- les désirs naturels et nécessaires, la faim ou la soif, mais aussi le désir d'avoir des amis ou celui de philosopher, qui ne relèvent pas directement de la survie mais sont essentiels à l'équilibre et au bonheur.
2- les désirs naturels mais non nécessaires, comme la sexualité.
3- les désirs qui ne sont ni naturels ni nécessaires, tels que le goût de la gloire ou du luxe.
Il n'y aurait pas de bonheur sans la capacité à ressentir la joie et/ou le plaisir.
Cet épicurisme évoluera vers moins d'austérité, s'épanouissant dans une éthique assouplie et une esthétique élargie vers la poésie, la musique et les arts graphiques. Cet élan sera brisé net lors de la montée de la chrétienté, ce n'est qu'au XVIe siècle et plus largement au XVIIIe siècle que la philosophie redécouvre l'épicurisme.
Spinoza nous convie à la joie et à la béatitude, l'éthique spinoziste, est une éthique de l’homme libre et de la félicité (ou bonheur). Libéré de toute transcendance, de toute fantasmagorie et de tout moralisme ascétique, l’homme libre reconnaît le désir comme un dynamisme, une puissance d’exister. Quand cette puissance est affirmée, naît la joie. Le Désir n’est pas une quête mais un dynamisme qui est la source de valeurs. Ce n’est pas le Désir qui, pour Spinoza, est source de servitude, c’est la passion.
Le Désir n’est pas une quête de l’impossible ni un manque indépassable, mais un dynamisme qui est la source de ses propres valeurs et qui peut accéder à la plénitude, c’est-à-dire à la satisfaction.

D'une autre orientation très contrastée avec l'épicurisme, Kant définit le bonheur comme la récompense que l'on est en droit d'attendre du devoir et de l'effort éthique, seule la vertu rend digne d'être heureux. Pourtant le lien entre bonheur et moralité est loin d'être simple. La présence de la vertu ne suffit pas à rendre heureux mais l'absence de morale n'est pas la solution.

Pour les intégristes religieux, la seule source du bonheur possible, autorisée, est réduite à la dimension religieuse et à l'accès vers l'au-delà.

Selon Bouddha, le bonheur authentique appelé sukka est un idéal de plénitude à chaque instant de l'existence qui reste stable face aux aléas de la vie. Pour atteindre cet état, la condition n'est pas de se méfier des plaisirs passagers ni de renoncer aux joies simples ni rester dans le sacrifice de son être, la sukka se fonde sur la connaissance de la vérité du monde, logique qui protège et donne des possibilités à l'esprit humain de percer les voiles de l'illusion.

Aujourd'hui, l'hédonisme prend des formes excessives qui dénaturent la sagesse épicurienne :
«Je fais ce que je veux, quand je veux où je veux avec qui je veux» logique qui remplit les prisons et les hopitaux.
Du cynisme de Diogène qui prônait le dénuement des objets, nous parvenons au cynisme de Beigbeder qui prône le bluff, l'addiction et la pauvreté de l'éthique et des idéaux.

Le recours aux sagesses orientales ou antiques devient un passage obligé si l'on veut se diriger vers un mieux-être et vers le bonheur durable; Il est préférable de parler "d'être heureux de..." soulignant là que l'action est nécessaire pour développer un contentement de soi tout spécialement lorsqu'il tend à faire avancer dans le sens d'un idéal intériorisé.
- heureux de se donner les moyens d'aller vers où l'on souhaite aller, être maître de son destin,
- heureux d'une harmonie esthétique qui apporte créativité, élégance, fierté de l'oeuvre accomplie,
- heureux de développer des liens amicaux, amoureux et de maintenir les liens familiaux malgré la difficulté que cela peut représenter.
Et comme l'altruisme est une caractéristique constante des gens heureux (selon des enquêtes internationales sur le niveau de bonheur dans différents pays) pourquoi ne pas en user sans modération?

V) Conclusion

 D’une façon classique, la reconnaissance des idéaux qui allait de soi il y a encore quelques décennies n’est plus évidente dans ce XXIe siècle qui commence. Poussée par un mouvement de fond sans précédent, la liberté sexuelle nouvellement acquise, la recherche du bonheur pour tous, l'hédonisme contemporain fait éclater le système de valeurs existant. Comment discerner actuellement les idéaux universels qui ont toujours leur raison d’être, de ceux, caduques qui n’ont plus à être honorés ? Comment aider à l’émergence de nouvelles valeurs en accord avec notre temps et préparer l’avenir ?

L’affaiblissement des valeurs morales traditionnelles représente-t-elle un danger majeur ou bien une opportunité favorable à la consolidation des valeurs humanistes, à l’installation de nouvelles valeurs hédonistes, esthétiques, sociales écologiques,  pour vivre mieux ?

Construire une éthique contemporaine est un très vaste chantier plus que jamais d'actualité dans cette période riche en bouleversements technologiques, économiques et humains. Ecrire, multiplier les lieux d'échanges, utiliser les connaissances actuelles des sciences humaines, intervenir dans le débat politique sont des nécessités.

Tout retard dans cette construction d'une éthique conduira au retour d'une morale caduque car  la nature ne supporte pas plus le vide dans ce domaine que dans d'autres.

Le vide et l'inadéquation de l'éthique laisse la porte ouverte à la corruption, à la violence, à la souffrance physique et mentale de bon nombre d'entre nous.

Cette construction est tellement urgente et indispensable qu'une prise de conscience aidera à la mise en place de ce processus nécessaire.

Cette construction d'une éthique contemporaine dispose de tels moyens capables de comparer nos expériences passées, de synthétiser nos attentes actuelles et de créer une nouvelle donne, nous pouvons être optimiste et ne pas douter du résultat. Elle ne doit pas être  l'oeuvre de quelques prêcheurs  illuminés ou démagogues en recherche de toute puissance mais l'oeuvre de tout un chacun à son niveau de réflexions et de compétences.

 

 

Gérard VIGNAUX  Mai 2010 


Bibliographie :

- Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale     Monique CANTO-SPERBER (2 tomes PUF)

- La philosophie morale  Monique CANTO-SPERBER et Ruwen OGIEN 

- L’idéal du moi  (essai sur la maladie de l’idéalité)    Janine CHASSEGUET-SMIRGEL éditions universitaires

- Petit traité des grandes vertus   André COMTE-SPONVILLE

- Vie et mort des idéologies    François DUPARC revue française de psychanalyse PUF

- La morale Eric BLONDEL GF Flammarion

- Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction    Jean-Marie GUYAU

- Totem et tabou     Sigmund FREUD  Payot

- L’avenir d’une illusion    Sigmund FREUD  PUF

- La morale sexuelle « civilisée »  – dans la vie sexuelle-    Sigmund FREUD  PUF

- Epicure Julie GIOVACCHINI  éditions belles lettres

- Construire le sens de sa vie –une anthropologie des valeurs-    Gérard MENDEL éditions la découverte

- Histoire de l’autorité    Gérard MENDEL

- Le philosophe, le patient et le soignant   Robert MISRAHI

- Généalogie de la morale  Friedrich NIETZSCHE

- Ainsi parlait Zarathoustra   Friedrich NIETZSCHE

- L’éthique aujourd’hui – maximalistes et minimalistes-   Ruwen OGIEN Folio essais

- La morale a-t-elle un avenir   Ruwen OGIEN  Pleins feux

- La sculpture de soi –la morale de soi-    Michel ONFRAY  livre de poche

- Les sagesses antiques –contre histoire de la philosophie-   Michel ONFRAY

- la pensée éthique contemporaine Jacqueline RUSS et Clotilde LEGUIL

- Ethique de Baruch SPINOZA

- Questions d’éthique contemporaine sous la direction de Ludivine THIAW-PO-UNE