ETHIQUE et PROSTITUTION


I) Historique

Présente dans certaines civilisations préhistoriques, la prostitution n’a pas toujours été « immorale », au début sacrée, elle se réduisit progressivement à un culte sexuel. Les cultes de la déesse-amante, présents dans la plupart des sociétés anciennes, ont pour rite essentiel l'union sexuelle des hommes avec les prostituées sacrées, ces unions sont destinées ressourcer la force génitale des fidèles masculins et cette force était censée étendre ses effets positifs sur la fertilité des troupeaux et des sols. L’intensité symbolique et la violence qui pouvait résulter de l’acte de prostitution étaient équilibrées par des rituels symboliques très forts et déconnectés autant que possible du pouvoir que procure l’argent.

C’est dans la Grèce antique que l’on voit apparaître la prostitution sous sa forme actuelle. A Athènes, des établissements municipaux consacrés à la prostitution existaient dans tous les quartiers de la ville, la justification officielle était d’offrir aux célibataires la possibilité d'assouvir leurs désirs sans s'en prendre aux femmes mariées et aux jeunes filles des citoyens libres.

La prostitution est florissante dans la Rome antique, elle se présente sous des formes multiples : les prostituées se trouvent en maison, dans des auberges, dans des loges, ou dans la rue, devant les arcades comme devant la porte de leurs domiciles. La civilisation judéo-chrétienne développe la condamnation prohibitionniste depuis les premiers temps du judaïsme. Le mariage représente le fondement de la société. Progressivement, l’interdiction de la prostitution s'impose en parallèle de l'adoption du christianisme. La prostituée est alors frappée d’indignité jusqu’à sa mort. Dans les faits la situation est complexe et montre toute la fragilité de la moralité romaine. La prostitution est à la fois illicite moralement, immorale pour certains et tout à fait légitime pour d’autres.

En France, les premières répressions officielles voient le jour sous le règne de Charlemagne où toute femme prise en flagrant délit de prostitution est fouettée nue en place publique. Malgré leur inefficacité, les mesures répressives, sont maintenues jusqu'au 12e siècle. À cette date, une relative période de tolérance commence, accompagnée d'une réglementation adaptée.

Au 16è siècle, suite aux ravages de la syphilis venue du Nouveau Monde qui touche toutes les couches de la société, l’opprobre sur la sexualité hors des liens du mariage réapparaît fortement dans toute l'Europe.

Louis XIV prend des mesures très sévères contre la prostitution en faisant punir physiquement aussi bien les prostituées que les clients. Cette logique sera appliquée jusqu'à la Révolution.

Après la chute de l'Ancien Régime, les prostituées circulent librement souvent vêtues avec extravagance dans les rues de Paris, notamment dans le quartier du Palais-Royal qui, à cette époque, était un des lieux principaux de la prostitution parisienne. Toute personne intéressée par les prostituées pouvait également connaître leurs noms et leurs spécialités.

Le 19è siècle voit l’émergence d’une certaine tolérance et des tentatives d’encadrement juridique et sanitaire sont réalisées.

La France, qui a été le pays d'origine du réglementarisme, change d'orientation en 1946 et prend des mesures qui l’entraîne dans la direction de l’abolition, suite à la loi dite « Marthe Richard » L'article premier de cette loi stipule : « Toutes les maisons de tolérance sont interdites sur l'ensemble du territoire national » En d'autres termes, les maisons clauses et les bordels sont interdits...

II) La prostitution et ses particularités

Quand une jeune femme sans argent épouse un vieil homme riche, on se rassure en se disant qu'elle rentre dans les rangs en fondant tout de même un foyer. Les apparences sont sauves. Quand elle se prostitue, elle dit clairement à la face du monde qu'elle veut l’argent sans le foyer…La prostitution montre à quel point la sexualité et l’amour peuvent ne pas emprunter les mêmes chemins.

Prostituée s’écrit d’emblée au féminin, pourtant les hommes sont de plus en plus nombreux à être prostitués, quantitativement, la prostitution masculine reste beaucoup moins importante que la prostitution féminine, mais en France la proportion d'hommes a considérablement augmenté ces dernières années. Selon la police, environ 20 % des prostitué(e)s seraient des hommes, mais cette proportion ne prend pas en compte les nouvelles formes de prostitution (salons de massage, annonces internet, escortes).

La prostituée laisse rarement indifférent celui qui la regarde. La fascination souvent produite est induite par notre inhibition ou notre avidité vis-à-vis de la sexualité. C’est surprenant de voir comment les prostituées sont souvent détestées des autres femmes et mêmes chez certaines on voit des réactions d’une telle haine qui ressemble à de l’hystérie.

« Le vrai problème, c'est la frustration. Les hommes pensent que les femmes ont le pouvoir de leur permettre d'accéder ou pas à la sexualité, ils les vivent donc comme castratrices, frustrantes. Dans la prostitution, l'homme paie pour que la femme ne puisse pas poser de limites. » Philippe Brenot

Quelles sont les causes psychiques sociales, économiques, qui conduisent d’une part une personne à se prostituer et d’autre part les causes d’une autre personne à devenir client d’une prostituée ?

III) Désirs de clients

Freud expliquait que la prostitution représente pour le client une issue à une fixation infantile sans issue qui associe fantasme sexuel et sentiment de tendresse à l’égard de la mère. En mettant en scène le désir inconscient du sujet pour une mère infidèle qui accordait ses faveurs au père, la prostitution désacraliserait l’image paradoxale d’une mère que la conscience par ailleurs investie d’une pureté morale inattaquable. Pour résumer la pensée freudienne, dans la prostituée l’homme recherche la mère infidèle.

   Un siècle plus tard, d’une façon plus pragmatique, de nombreux « psy » soulignent la détresse de nombreux hommes face à leur impuissance sexuelle ou simplement de leur anxiété provoquée par la peur de ne pas parvenir à satisfaire l’attente des femmes d’aujourd’hui. Ce sentiment de ne pas comprendre le désir féminin devient majoritaire chez les hommes. L’évolution de la masculinité s’effectue lentement en bonne partie sous la demande des femmes qui développent une féminité nouvelle. L’héritage « macho » qui est constitué de force, d’autorité, de prouesses sexuelles, de domination masculine et de virilité, a longtemps constitué la fierté des mâles. Avec les changements contemporains, cette virilité n’est plus triomphante, elle ne devient souvent qu’un ultime sursaut pour tenter de résoudre une blessure narcissique. Les échecs répétitifs de la séduction ou les ruptures consécutives qui témoignent d’une vie amoureuse ratée sont des situations qui amènent certains hommes vers les prostituées.

La prostitution est la très vieille complice d'une virilité aujourd'hui, en pleine débandade. Obtenir les faveurs même rémunérée d’une prostituée peut apporter un sentiment de puissance un instant retrouvé. Ce réconfort est certes éphémère, précipité et il apparaît pour l’homme blessé dans son narcissisme comme la seule solution possible.

   Traditionnellement, tout spécialement dans les quartiers huppés de Paris et de quelques grandes villes, la clientèle masculine des prostituées vient chercher un complément à une sexualité trop monotone. Des hommes (souvent mariés et pères de famille) cultivent leurs fantasmes par des rencontres brèves et tarifées. Ces rencontres parfois sans lendemain ou bien s’organisant dans le temps, apportent la fantaisie et repoussent les limites du comportement sexuel que l’un des partenaires ne souhaite pas outrepasser. Il convient d’ajouter un comportement plus récent de couples qui choisissent ensemble les services d’une ou d’un prostitué pour se permettre des fantaisies inhabituelles. Cette catégorie de clients reste attachée à une meilleure sécurité pour éviter les agressions ou les mauvaises rencontres ainsi se développe le nombre d’escortes. Souvent par internet, ce genre de relations se nouent facilement et discrètement.

Les clients sont aussi parfois des clientes, leur nombre entre 1 et 5% suivant les pays est en augmentation. Loin de la parité car il est plus facile à une femme qu’à un homme d’obtenir rapidement un rapport sexuel si elle le désire, cependant pour des raisons diverses, d’âge, d’anonymat, de liberté, de ne pas avoir d’attaches, etc… Ces femmes sont communément appelées: « des cougars ».

Ces « cougars » sont des femmes célibataires ou très indépendantes de plus de quarante ans entretenant avec attention leur corps et leur libido. Dans ce type de relation, on retrouve souvent le souhait de garder le contrôle et d'avoir l'initiative de la séduction, ce qui est plus facile dans ce type de relation avec de jeunes hommes, les lionceaux. Des sites internet de rencontres spécialisés permettent un véritable essor de ce phénomène de société.

Il ne faut pas oublier les femmes touchées par l’exotisme qui organisent des séjours africains pour vivre des « parenthèses enchantées » durables ou éphémères ou bien les riches clientes féminines à Barcelone et ailleurs en Espagne qui vivent leurs rencontres dans des maisons closes spécialisées.

Considérer la sexualité de l'handicapé est un aboutissement après la reconnaissance de sa souffrance et de son désir. En Occident, cette notion apparaît avec les mouvements des droits de l’homme dans les années 1960/1970 ; dans un premier temps, des personnes (des assistants sexuels) ont été formées aux Etats-Unis et dans le Nord de l'Europe, afin de fournir une assistance sexuelle aux handicapés. Il semble bien que le règlement de la question du statut des prostituées soit un préalable avant de reconnaître le rôle et de créer des assistants sexuels pour les personnes handicapées.

L'accompagnement sexuel est assuré par des hommes et des femmes ; dans les faits, il y a une certaine parité hommes- femmes là où ce service fonctionne. Leur pratique peut aller du simple corps à corps à la pénétration, en passant par la masturbation. Il n'y a généralement pas de baisers. Pour instaurer un climat apaisant et de confiance, l'assistant sexuel peut utiliser de la musique d'ambiance, des bougies ou encore des huiles. En Suisse, ce service est rémunéré entre 100 et 150 euros, quelle que soit la nature de la prestation fournie. Les assistants sexuels sont sélectionnés et reçoivent obligatoirement une formation. Cette pratique est plus ou moins développée dans quelques pays d’Europe comme l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Autriche, la Suisse mais non reconnue en France. Dans de nombreux cas, seul(e)s des prostitué(e)s exerçaient ce rôle qui représentait l’unique possibilité de connaître le plaisir du sexe. Au droit à la sexualité pour tous s'oppose un refus de la commercialisation des rapports sexuels et de la légalisation d'une forme de prostitution. Sur le plan légal, l'assistance sexuelle est en France assimilée à la prostitution. Ainsi, un membre du personnel médical qui organise une rencontre sexuelle pour un résidant en institution ou un patient à domicile risque d'être accusé de proxénétisme.

IV) Désirs de prostituées

L’argent possède une place déterminante dans la prostitution. Concrètement, c’est une des rares voies d'accès à un niveau de vie auquel une origine sociale modeste, un faible niveau d’études ou un manque de compétences professionnelles ne permettraient pas d'arriver. Symboliquement, l’argent offre une revalorisation par rapport à des sentiments d’infériorité très forts. C’est un moyen de faire payer aux hommes un dommage subi précédemment. C’est également acquérir un (grand) pouvoir sur les hommes et donc une tentative parfois désespérée de consolider les failles narcissiques. Des motivations qui sont multiples, l’argent est la motivation manifestement la plus consciente. L’argent est soit précautionneusement épargné dans un but de monter un commerce ou bien dilapidé pour se donner le sentiment d’appartenir à la classe sociale privilégiée.

Le passage à l’acte vers la prostitution des jeunes femmes survient souvent dans un contexte de défi adressé à la mère ou à une figure féminine. Ce comportement de défi se développe en réaction à une certaine morale véhiculée par l’incarnation maternelle. L’influence paternelle insuffisante, inexistante ou bien déviante dans la sexualité ne crée pas les conditions d’une construction suffisante d’un idéal. Ce genre de constellation familiale ne permet pas d’identifier un homme comme partenaire de confiance durable.

L’exhibition ostentatoire et la provocation accompagnent et déterminent le comportement de la prostituée. Leur corps est paré de nombreux attributs affichant l’hyper sexualité et la désinhibition offerte dans le but d’exercer ainsi une fascination sur autrui.

Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième Sexe, observe d’ailleurs que la prostituée réunit les diverses représentations féminines fascinant l’homme. La séduction exacerbée peut être un vrai jeu pour la prostituée qui lui donne un sentiment de puissance et un plaisir d’occuper une position anticonformiste valorisante.

V) Le Modèle allemand d’une reconnaissance et d’un réglementarisme européen.

En 2002. Le gouvernement Schröder, sans accord avec l’opposition conservatrice, a voulu faire de la prostitution un métier reconnu : paiement d’impôts, lieux d’exercice, sécurité sociale, droit à la retraite… Peu de choses différencient en théorie en Allemagne une personne prostituée d’un autre employé du secteur tertiaire : deux statuts existent : travailleur indépendant ou employé.

Les éléments qui semblent avoir déterminés le choix de la libéralisation et de la réglementation de la prostitution,

     - souhait de limiter l’influence des réseaux de proxénétisme et de traite d’êtres humains,

     - volonté de ne plus porter de jugement moral sur l’activité de la prostitution,

- volonté d’accorder aux prostituées les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’aux autres travailleurs (impôts et charges sociales)

- volonté de permettre aux plus démunis de sexualité un accès à des services sexuels.

Depuis cette réglementation en Allemagne, la prostitution s’est organisée autour de nombreuses maisons closes, dont certaines pouvant accueillir plusieurs centaines de clients simultanément et disposant de saunas et piscines et organisant l’été des soirées conviviales.

Quel bilan 10 ans après l’application de la nouvelle loi ? La prostitution est devenue en Allemagne un secteur d’activité presque comme un autre, sans réelle discussion morale associée à la pratique. C’est aussi devenu un secteur de concurrence que certains qualifieraient sans doute de « libre et non faussée », où les plus faibles trinquent donc au premier écueil.

Seulement 3% des prostituées exercent sur le trottoir, l’Allemagne est l’un des pays au monde comptant le moins de péripatéticiennes racolant dans la rue. 35 à 40% des prostituées seraient allemandes et 60 à 65% étrangères. En 2012 le nombre de prostituées serait de 400 000. Selon les statistiques de la police allemande, cette loi semble avoir eu pour principal effet positif de porter un coup aux réseaux mafieux prospérant habituellement grâce au proxénétisme. Pour un réseau maffieux, l’investissement dans la prostitution est devenu moins attractifs que dans les pays bénéficiant d’un flou ou d'une absence de réglementation.

La publicité faite autour du cadre légal mis en place en Allemagne a provoqué l’arrivée de nombreuses filles en provenance des pays devenus membres de l’Union Européenne et a eu pour principale conséquence une augmentation du nombre total de prostituées en Allemagne. Cette concurrence nombreuse a amené une baisse notable du revenu des prostituées qui devrait apporter maintenant une diminution du nombre de ces travailleuses du sexe.

Une travailleuse du sexe, Nina de Vries militante néerlandaise résidant à Berlin a ?uvré pour que les services sexuels aux handicapés se développent, il existe des formations spécifiques. En Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, au Danemark notamment, le métier d’assistant sexuel existe, sans que cela ne choque outre mesure. De la même façon des personnes âgées seules peuvent avoir accès à des relations sexuelles.

A quelques nuances avec l’Allemagne, d'autres pays comme la Hollande, la Belgique, l’Autriche, la Turquie, la Tunisie, la Grèce, la Suisse, la Hongrie ont également légalisé la prostitution.

La réglementation se fait par la promulgation de lois précises, l’encadrement ne représente pas qu’une contrainte il permet de réguler cette profession comme toutes les autres en protégeant les droits des travailleurs et en prévenant les abus des employeurs. Les prostitué(e)s sont alors considéré(e)s comme des travailleurs du sexe.

VI) le modèle Suédois d’une tentative d’abolition

Pour les abolitionnistes la prostitution est une forme d’exploitation et une atteinte à la dignité humaine qui doit être abolie. Les personnes prostituées sont des victimes non-punissables, les proxénètes des criminels et les clients sont des corrupteurs qui doivent être sanctionnés. Cette logique est très chargée d’une morale visant à protéger l’institution de la famille et de mettre en avant l’idée que la prostitution est construite seulement à l’initiative des hommes.

Le choix du mot abolition ramène et associe ce combat à celui de l’abolition de l’esclavage. Ce mouvement réfute la distinction entre une prostitution forcée et une prostitution libre et affirme que personne ne choisit librement de se prostituer. L’expression «la traite des blanches » résume la description de la prostitution vue par les abolitionnistes. Dans les faits, c’est prioritairement une abolition de la réglementation de la prostitution qui est visée puisque la réglementation est censée cautionner l'existence de la prostitution.

La Suède a été le premier pays du monde à interdire la prostitution (loi votée par le Parlement suédois et entrée en application en 1999), en introduisant une logique de répression et de condamnation des clients des prostituées. Les clients désignés à la vindicte populaire sont considérés comme corrupteurs et punis par la loi mais pas les prostituées. Si la peur a changé de camp, les prostituées doivent se cacher et donc entrer dans la clandestinité pour assurer une sécurité à leurs clients éventuels qui risquent la prison.

Une première étude publiée peu de temps après la réforme avait observé un net recul du nombre de personnes prostituées, dans les rues des trois plus grandes villes du pays. Ces chiffres sont contestés par les prostituées elles-mêmes. Les évaluations ont été conduites par ceux qui ont fait voter la loi, ce qui relativise les chiffres donnés. On ne peut pas être à la fois juge et partie. D'autres études réalisées par la Direction nationale de la santé et des affaires sociales, ont démontré que le nombre de personnes prostituées à l'échelle nationale, lui, n'avait pas diminué et avait même, selon certains rapports, augmenté 13 ans plus tard. La politique abolitionniste ne semble pas pouvoir éradiquer la prostitution.

Cela s'expliquerait,  par le fait que les prostituées ont dû se résoudre à quitter les centres-villes vers les cités de banlieue, des endroits où elles pouvaient dès lors rejoindre leurs clients sans que ceux-ci craignent d'être interceptés par les policiers. Un argument souvent mis en avant par les défenseurs des travailleurs du sexe. Les lieux et les modes de "transaction" associés à la prostitution cachée auraient ainsi augmenté à la suite de la réforme. Il y aurait donc eu "marginalisation géographique" et une simple "réorganisation de la prostitution dans le pays.

« Les abolitionnistes contemporains se dotent d’une conception à priori de la prostitution, comme intrinsèquement négative, comme une déchéance sociale ou un asservissement au patriarcat. Le problème d’une telle attitude c’est qu’elle met à l’abri de toute réfutation qu’une confrontation avec la réalité pourrait éventuellement infliger. Et, précisément, la réalité de la prostitution est autrement plus complexe : toutes les personnes qui exercent cette activité ne sont pas nécessairement de pauvres filles dupées par des promesses fallacieuses de vils proxénètes, des inadaptées sociales victimes d’agressions sexuelles dans leur enfance, ou encore asservies à la volonté des clients, etc. La représentation que les abolitionnistes dressent des personnes prostituées est fausse parce que sans nuance ni contraste, elle ne veut voir en elles que des victimes, ce qui leur permet de parler à leur place et de décider de ce qui est bon pour elles. Or toutes les personnes qui se prostituent ne sont pas des victimes (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas), ne sont pas des inadaptées ou des esclaves ». Lilian Mathieu (sociologue) 

VII) La prostitution en France

En France, la prostitution est autorisée (à l'exception des mineurs et des personnes vulnérables comme les femmes enceintes ou les handicapés), mais le racolage et le proxénétisme sont interdits, y compris le racolage passif, le proxénétisme hôtelier et le proxénétisme de soutien (aide, assistance ou protection de la prostitution). Tirer profit de la prostitution entre dans cette dernière catégorie mais cette interdiction est particulièrement critiquée, car elle est susceptible d'incriminer indistinctement tout l'entourage d'une prostituée : compagne ou compagnon, enfants majeurs, amis, collègues.. Les revenus des prostituées sont assujettis à l'impôt, ce qui fait parfois qualifier l'état de « premier proxénète de France »..

La politique française vis-à-vis de la prostitution est indécise, d’une tendance abolitionniste depuis 1946, récemment (sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy alors ministre de l’intérieur, en 2003) une loi concernant la sécurité intérieure élargit la notion de racolage. Désormais la notion de racolage passif aggrave cette infraction en la transformant en délit. Ce choix semble unanimement condamné par les spécialistes du milieu d’aide aux prostituées. François Hollande avait d’ailleurs promis son abrogation, lors de sa campagne électorale.

En 2010, 1 367 personnes ont été mises en cause pour racolage par la police nationale. L’estimation officielle de 20 000 personnes pratiquant actuellement la prostitution, dont 90% d'étrangers serait largement sous estimée.En établissant le délit de racolage passif qui traque les prostituées, le gouvernement de cette époque a préféré donner des outils à la police pour rendre moins voyante la prostitution de rue. Par contre la lutte contre le proxénétisme n’a pas du tout été renforcée et la condition de vie des prostituées rendue encore plus difficile au quotidien. L’annonce récente de la Ministre Najat Vallaud-Belkacem (si celle-ci devait être confirmée dans les faits) signifierait un basculement complet de la France dans le camp des abolitionnistes.

Contrairement à ce qu’il se passe en Allemagne, les prostituées ne semblent pas souhaiter devenir salariées. Elles préfèreraient travailler en coopérative, auto-gérées, sans proxénète, sans patron, elles ont une volonté d’indépendance. Il faut aussi accorder un statut à ces personnes, qu’elles aient les mêmes droits sociaux que tout le monde.

Le mouvement du nid est une association qui défend l’abolition de la prostitution, de son côté, la directrice de recherche au Cevipof et spécialiste de la prostitution, Janine Mossuz-Lavau dénonce une stigmatisation supplémentaire pour les prostitués. Elle souligne aussi l’hypocrisie de l’état qui fait payer des impôts à des personnes dont il condamne l’activité.

VIII) Conclusion 

Dès lors que le droit veut s’occuper de sexualité, rien n’est facile compte tenu de la multitude des avis. Les traditions, les croyances religieuses s’opposent aux tendances progressistes, elles-mêmes s’affirment avec certaines nuances selon les références culturelles et philosophiques. Il n’est vraiment pas simple de légiférer sur ce sujet qui déchaîne les passions.

« J'appartiens à une génération qui s'est battue pour que les femmes fassent ce qu'elles veulent de leur corps. Si une femme souhaite gagner en trois jours, par la prostitution, ce que d'autres gagneraient en un mois à la caisse d'un supermarché, c'est son droit. La seule condition, et elle est essentielle, c'est évidemment qu'elle n'y soit pas contrainte. Pour le reste, les femmes font ce qu'elles veulent ! Au nom du puritanisme et de l'égalité, la société tente à nouveau d’imposer des griffes moralisantes sur les femmes. Quelle régression ! » Elisabeth Badinter, philosophe et féministe, dans son livre Fausse route (Odile Jacob), se prononçait en faveur de la libéralisation de la prostitution. En 2011 elle ajoute: "ça serait une régression, un retour à la police des moeurs et un puritanisme dépassé, un rétrécissement des libertés individuelles, Qu'est-ce que l'état a à mettre son nez dans ce que l'on fait avec notre corps".

D’un coté les prostituées et les travailleurs du sexe souhaitent un arrêt de la stigmatisation qu’ils subissent et une véritable reconnaissance de leur rôle social de leur profession. Des syndicats se sont créés, des manifestations s’affichent au grand jour. Pour certains représentants des travailleurs du sexe, pénaliser les clients reviendrait à accentuer la précarisation des prostituées, les poussant à se tourner vers des intermédiaires, donc des réseaux, pour pratiquer leur activité. Les prostituées continuent aussi de protester contre le délit de racolage passif instauré par Nicolas Sarkozy en 2003. Pendant la campagne électorale présidentielle, le candidat François Hollande avait estimé qu’il fallait supprimer ce délit qui, disait-il, «se traduit par un moindre accès aux soins et aux services sociaux pour les personnes prostituées». Anne Souyris, candidate EELV aux législatives à Paris et fondatrice de l’association féministe Femmes Publiques, a regretté que «les prostituées ne soient jamais l’objet d’attention politique autrement qu’en termes de répression». Elle aussi estime que la répression des clients est «catastrophique en termes de violence, d’exclusion, de droits sociaux. Les politiques doivent être à l’écoute des prostituées comme ils sont à l’écoute des syndicats».

De l’autre coté, des conservateurs aux accents puritains alliés à certains mouvements féministes portent le mouvement abolitionniste. Ce mouvement considère que la traite des êtres humains est indissociable de la prostitution. Aucune tolérance envers cette idée « de vendre son corps » pour de l’argent ne doit être acceptée.

Qu’il faille interdire la prostitution des mineurs et les réseaux de proxénétisme ne fait pas de doute. Pour le reste, faire preuve de pragmatisme en accompagnant avec tolérance l’évolution des moeurs serait un vrai progrès. Cette évolution ne pourra se faire que par l'éducation et par une pratique desinhibée de la sexualité. La loi pourrait se définir plus clairement pour lever les ambiguïtés actuelles et par conséquence ne plus considérer les prostitué(e)s comme des délinquants.

La prostitution ne représente pas un comportement idéal pour la société mais c’est un élément de l’humaine condition qu’il est préférable de reconnaître sans diaboliser.