Les questions dites « sociétales » pourraient être des occasions de discussion profonde, de remise en question de notre façon de voir et de nos mœurs, qui seraient  bien inspirés d’évoluer de temps en temps. Au lieu de cela nous assistons à une épreuve de force qui tend à dissoudre les divergences subtiles et les positions dans un clivage droite/gauche ou à rejouer la controverse des anciens et des modernes, occultant toute réflexion. Celui qui est pour est progressiste, celui qui est contre est ringard.

Il est vrai qu’on peut avoir le réflexe d’être pour ce projet, ne serait-ce que pour contrer l‘homophobie évidente de beaucoup d’opposants. Essayons plutôt de réfléchir un peu. Ce sera peut-être un peu long mais si l’on ne veut pas de simplification excessive c’est à ce prix.

I) Tout d’abord y a une question d’égalité devant la loi: si le mariage donne des droits à des couples (héritage, reprise d’un bail en cas de décès, autorité parentale sur un enfant qu’on élève ensemble, etc.), et s’il les couples homosexuels sont acceptés par la société, l’homosexualité n’étant plus considérée comme un délit ni comme une pathologie (c’est le cas de tous les pays occidentaux dans les dernières décennies), nier ces droits aux couples homos relève simplement de la discrimination. Bien de situations dramatiques, droit de visite à un malade, remise du corps en cas de décès, et même le deuil, pendant longtemps ont imposé l’effacement aux partenaires homosexuels, leur relation n’étant pas reconnue, elle était non seulement invisible, inaudible et même illisible pour des entourages et familles ; on comprend qu’ils veulent maintenant une reconnaissance officielle.

Le Pacs n’était-il pas suffisant pour bien des questions ? Certes, mais pas pour toutes. Certains ne voient pas du tout l’intérêt de se marier même dans un cadre hétéro,  – c’est mon cas – mais il s’agit d’une liberté. Ce n’est pas à la loi de dire comment nous devons vivre mais il lui revient d’assurer un cadre juste où chacun puisse le faire comme il l’entend, si toutefois cela ne nuit pas à autrui.

Le mariage pour tous ne pose donc pas de problème majeur. Ceux qui disent que cela ouvre la porte à toutes sortes « d’autres pratiques » (entendez polygamie, pédophilie, inceste), plus qu’un amalgame, ils font une injure homophobe et une erreur intellectuelle. Ils utilisent un « argument de pente glissante », sophisme bien connu en éthique contemporaine, dont le but est de créer un contexte de « panique morale » qui empêche de réfléchir : si on accepte ceci, après on demandera cela, puis encore cela et ce sera trop tard. Mais rien n’autorise ces rapprochements. Actuellement l’inceste existe, la pédophilie aussi, mais non le mariage gay et lesbien; cela doit venir donc de la société telle qu’elle est aujourd’hui et non pas de l’innovation dont il est question. Quant à la polygamie, elle existe aussi au niveau des pratiques, mais dissimulée ; elle est officielle justement dans certains pays qui, très loin même de parler de mariage homo, pénalisent parfois durement l’homosexualité.

Qu’en est-il de « l’ordre symbolique » ? On en a beaucoup entendu parler lors des débats sur le Pacs. Il y aurait donc un « ordre symbolique », fondement de la civilisation : un homme, une femme, voilà le couple, voilà la famille. Mixité du genre humain, père, mère, enfants. Situation œdipienne, identification, figures parentales. Il a été pourtant montré maintes fois (des gender studies à Bourdieu) que tout cela ne fait que s’accommoder d’une longue histoire de domination masculine et surdétermination hétérosexuelle, que tout cela a été mis au centre de notre société a des époques bien précises, que ce n’est pas de toute éternité ni non plus une chose millénaire, mais parfaitement historique. Le but a été de pérenniser un ordre social et économique, un régime d’héritage et des affaires entre familles, bon pour le capitalisme surtout  au XIXe siècle. Si cet ordre symbolique était le fondement de la civilisation, il ne pourrait pas être altéré ni mis en danger par des pratiques minoritaires.

Les choses changent, les sociétés évoluent. Pourquoi « l’ordre symbolique », si tant est que cela existe, serait-il à préserver ? Les maîtres et les esclaves, n’était-il pas un ordre symbolique prédominant jusqu’à son abolition ? La hiérarchie de races l’était aussi, quand on y croyait… De plus, ceux qui sentent ainsi menacé l’ordre symbolique, s’en font une piètre idée, le réduisant à une question d’organes sexuels. S’il existe des ordres symboliques, ils sont faits de langages, de mythes, d’histoire, de valeurs et de leurs hiérarchies, d’art et de littérature, et tout cela avec la richesse et la variété infinie et changeante des cultures humaines, impossible d’enfermer dans un seul modèle historiquement daté.

En outre, ce n’est pas le mariage hétérosexuel ni la famille nucléaire qui représente l’évolution historiale de la modernité, mais le mariage par amour. Le mariage et la famille ont été des arrangements pendant des siècles, c’est après le Romantisme que cela a commencé à changer, et encore plus avec la prééminence de l’individualisme et la libéralisation des sociétés après la deuxième guerre mondiale. On pense à présent que c’est par amour qu’il faut former un couple.

Et il se trouve que l’amour se moque des genres. Il est assez étrange que l’on parle tellement de droit et de politique si peu d’amour et de sexe dans ces controverses. Les rapports entre les humains, de quelque sexe ou genre que ce soit sont extrêmement complexes et même difficiles (sinon on n’aurait pas tant besoin de psys), ses configurations, ses géométries, sont aussi riches et variables que les aléas du désir et de la liberté, des personnalités et de la volonté. Personne ne devrait entrer avec des gros sabots dans ces champs de questionnement qui touchent au plus intime des humains. Car il en va de la construction des vies, de leur accomplissement ou de leur frustration, de souffrance et de jouissance. À quoi bon des sociétés de liberté si elles ne le sont pas sur le terrain de l’amour ?

Qui veut se marier a ses raisons, et l’on peut imaginer qu’elles ne sont pas superficielles. Celui qui craint que cela ne dévalorise le mariage n’a qu’une piètre idée de sa valeur. Mais on devrait lui opposer un autre argument. Le mariage en lui-même n’a pas de valeur, celui-ci ou celui-là peuvent en avoir. Qui ne connait pas de couples mariés dont l’union n’est qu’arrangement, profit réciproque, qui explose au moindre pépin, perte d’emploi, par ex. ? Les couples homos qui se battent pour leur droit au mariage c’est justement parce qu’ils octroient beaucoup de valeur à cette institution. Il semble donc que c’est clair, que le mariage est un droit pour tous.

II) C’est l’adoption qui pose problème, on le sait. Et la PMA (Procréation médicalement assistée). C’est là où les raisons et les arguments ont le plus besoin d’éclaircissement. L’enjeu c’est la filiation et le développement psychique des enfants.

Là encore, il me semble important de discriminer au préalable les situations: elles sont très différentes.

L’adoption, d’abord.  Elle est déjà un « parcours du combattant » pour les couples les plus conventionnels du monde qui veulent obtenir l’agrément pour adopter, encore plus pour les personnes seules (dont le droit existe). Il faudrait se garder, au moment de voter une loi, de se décharger sur les organismes et agences d’adoption pour qu’ils fassent le tri des personnes ou couples « bons » pour adopter, où l’on peut très bien imaginer que les couples homos pourraient être discriminés ou simplement ils passeront en dernier. Ce serait une hypocrisie que ne résoudrait rien.

Un argument utilitariste milite très clairement pour le droit à l’adoption pour tous. Si l’on songe à la réalité quotidienne et aux perspectives de futur d’un orphelin placé en institution, disons, en Roumanie, au Laos, à Haïti ou au Sierra Leone, on peut très bien parier que si cet enfant est adopté par un couple stable d’homosexuels dans une démocratie riche d’Occident, il aura une vie préférable (ce n’est pas quantifiable, évidemment). Santé, espérance de vie, éducation, culture et liberté.

Mais cet argument ne compte que si on suppose que cet enfant n’aura pas la possibilité d’être adopté par des couples conventionnels (reste à savoir pourquoi). On s’aperçoit de la difficulté de ces problèmes. Le comparatif de vies hypothétiques est déjà très abstrait, mais encore le choix peut être à son tour comparé. Que dire alors à celui qui pose la question : ce même enfant, ne serait-il pas mieux adopté par une famille hétérosexuelle ? On peut toujours répondre qu’il serait encore mieux si ses parents biologiques n’auraient pas étés obliges de l’abandonner ou s’ils n’étaient pas morts… Cela fait beaucoup de « si ».

Les associations de parents adoptifs savent que rien n’est facile et qu’il y a un nombre de cas où cela se passe mal. La blessure de l’abandon, des sentiments contradictoires envers ses parents biologiques peuvent se retourner contre ceux qui l’ont adopté. L’adoption en général est un pari qui demande courage et générosité; le seul désir d’enfant est insuffisant. L’enfant adopté en grandissant aura à travailler cela dans un processus parfois difficile, mais souvent riche et fructueux s’il y a eu amour, vérité et confiance. Absolument rien ne permet de dire que les couples homosexuels ne cultiveront pas cela. Pourtant, s’il n’y a pas forcément d’ordre symbolique, il y a toutefois une norme majoritaire, une situation dite « normale », si on ne garde que le sens statistique de ce mot. À l’école, les enfants s’aperçoivent bien que presque tous ont un père et une mère (je suis conscient que cet argument est utilisé par les opposants au mariage pour tous), même s’ils ne vivent pas avec les deux.  Ceux qui sont adoptés, auront déjà le problème de l’adoption à travailler tôt ou tard ; mais comment penser que la question : « pourquoi je n’ai pas eu le droit, moi, à une mère et à un père comme les autres ? » ne se posera jamais. Ce serait une naïveté et une inconséquence épistémologique.

C’est pourquoi la position de ceux qui sont  pour l’adoption qui consiste à dire qu’il s’agit des couples « comme les autres », que « ce sera exactement la même chose », n’est pas très solide.

Je laisse de côté évidemment les cas où des enfants sont déjà élevés par des couples homos, parce que la mère ou le père ayant la garde et élevant seul(e) un enfant a changé d’orientation sexuelle et a reconstruit un couple. Ce sont de situations de facto. Les pédopsychiatres et travailleurs sociaux disent que cela ne se passe ni mieux ni pire qu’avec les autres couples et familles recomposées. Même si nous ne disposons pas d’études sociologiques à long terme, on peut néanmoins parier que c’est vivable. Surtout parce dans une société comme la nôtre aucune famille ne vit en vase clos. Chacun a des figures d’identification en dehors de sa famille directe. Ces enfants auront à négocier avec leur entourage les regards et les questions, le bizarre et le commun ; peut-être (comment le nier) un peu plus que les autres, mais ils ne sont pas orphelins, ils connaissent leur père et mère, même s’ils ne vivent pas avec.

En revanche, comment penser que quelqu’un qui aura été abandonné par père et mère ne se pose pas de questions difficiles ? Est-ce bien raisonnable de dire qu’il n’y a là rien à voir, que c’est la chose la plus normale du monde ?

Ne serait-il pas plus cohérent et plus fort de dire que non, que cela ne sera pas comme avant, que ces enfants ne seront peut-être pas « comme les autres », ce qui peut être difficile mais qui peut être aussi une chance pour l’enfant ? Qu’il s’agit d’expérimenter des nouvelles façons de vivre, que les enfants seront bien entendu tôt ou tard libres de rejeter ou d’approuver, mais qui, au demeurant, leur donneront la possibilité d’un élargissement de critères, les exposant moins à être intolérants et les formant à l’ouverture d’esprit et à ne pas avoir peur de la différence…

Sans oublier que l’adoption est d’emblée réparatrice par rapport à la blessure de l’abandon. Que ce soit par une seule personne ou par un couple, homo ou hétéro. Dans certains cas, elle sera différente, c’est tout ; comme il pourrait  être l’adoption des orphelins blancs par un couple de noirs. Cela ouvrira sur un plus de questionnements (est-ce un mal ?). Rien n’est banal. Tout est significatif. Mais les possibilités de futur et la liberté de l’enfant sont préservées. Chacun construit peu à peu un récit de ses propres origines ; ces enfants en feront tout autant et leurs récits seront différents, c’est tout.

Je sais. Ce n’est pas l’option prise par ceux qui demandent le mariage pour tous et le droit à l’adoption. Mais cela me semble plus cohérent et cela aurait plus d’allure. De Michel Foucauld à Judith Butler, de Deleuze aux féministes actuelles, des puissants penseurs sont là pour aider à combattre les préjugés et le conformisme d’une culture hypocrite et conventionnelle qui rejette tout ce qui est différent et nouveau et que fait peur pour mieux contrôler et normaliser. N’est-il pas regrettable que le principal axe revendicatif pour une telle innovation sociétale soit la banalité et la normalité, de dire « mais non, rien ne changera, nous sommes comme les autres » ? Pourquoi faut-il se fondre dans la masse, s’accommoder de la norme contre laquelle ont lutté des générations de féministes et de militants LGBT ?

III) Des questions différentes se posent pour la PMA (procréation médicalement assistée).

L’adoption ne concerne qu’une partie de la communauté homosexuelle, notamment les couples gays (masculins). Les couples lesbiens ayant la possibilité d’enfanter, elles préfèrent majoritairement avoir recours au don de sperme, avec donneurs connus (des copains) ou anonymes. Cela peut se faire aussi par la « méthode traditionnelle », si on se permet cette expression, même si ce n’est pas leur préférence.

Dans ce cas (de la « méthode traditionnelle »), il ne semble pas possible de dire quoi que ce soit, un père et une mère biologiques existeront, même si ce ne pas ce couple-là qui élèvera l’enfant. Tôt ou tard, s’il le souhaite, l’enfant pourra rencontrer son père biologique. Il aura alors à négocier (le mot est bizarre, je sais) avec les uns et les autres ses questionnements, les raisons de tout cela, et à travailler ses sentiments. Sauf si on efface les traces, ce qui est un acte aux fortes conséquences éthiques et difficilement justifiable.

Situation prévue dès le départ, cela ne s’apparente pas purement et simplement à une famille recomposée ou à des cas de père absent par abandon, au demeurant, assez fréquents. Il faut imaginer les raisons que l’on donnera à cet enfant, du fait qu’il est issu (à peu près comme tout le monde) d’une relation sexuelle, mais dont le but (contrairement à tout le monde) n’était pas du tout le plaisir ni l’amour mais purement l’engendrement. Cette réduction instrumentale de l’acte sexuel n’est pas choquante en elle-même (elle correspond d’ailleurs, paradoxalement, à des siècles de vie religieuse où encore aujourd’hui chez des fondamentalistes ; on faisait « ça » pour procréer, le plaisir étant considéré soit comme un mal nécessaire, soit comme un péché), mais on ne peut pas considérer non plus que c’est banal, cela dit quelque chose sur la valeur et le rôle de la sexualité et sur la place du père.

Et lorsqu’il est fait appel aux banques de sperme, pour une insémination artificielle, l’anonymat du donneur est imposé, chose remise en cause, mais faisant encore partie de la loi.

Il s’agit là en tout cas d’un acte médical. Mais qu’est-ce que la médecine ? L’art de soigner des maladies, de sauver des vies et de pallier à des souffrances qui résultent des disfonctionnements organiques ou psychiques. La stérilité est considérée comme un tel disfonctionnement. La médecine s’attaque à contrer ses effets. C’est ainsi qu’est née la PMA.

Les femmes homosexuelles, tout en pouvant (biologiquement) procréer comme n’importe quelle femme fertile, ne le souhaitent pas. Elles ont pourtant le désir d’enfant. Elles font donc appel à des techniques médicales, comme l’insémination artificielle. Doit la médecine utiliser sa science et sa technique pour faire quelque chose sans rapport avec une quelconque maladie, mais seulement avec le désir ? Je rappelle qu’on était d’accord (sauf récalcitrants) que l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie. Alors, de deux chose l’une : si par choix on ne veut pas pratiquer la « méthode traditionnelle » (je précise que je ne parle pas de « naturelle »), mais engendrer quand même, et s’il se trouve de médecins pour pratiquer des actes extrêmement techniques destinés à pallier la stérilité, sur de « patients » parfaitement féconds, il y a quand même un petit problème de cohérence.

Ce problème est posé à l’éthique biomédicale. Disons que ce n’est pas la médecine qui nous occupe ici, mais l’enfant. Que lui dira-t-on quand il posera des questions ? « Un homme a donné sa semence, elle a été implantée dans une femme, ta mère, qui ne voulait pas d’homme en chair et en os pour engendrer. Mais cet homme n’est pas ton père, même si tu portes ses gênes. Et tu ne pourras jamais le rencontrer ». Cela paraît bien ? Voyons donc un autre cas de figure : Un ami donne le sperme, mais là encore, une majorité de femmes lesbiennes refusent une relation sexuelle avec un homme ; ça se fera donc quand même avec prélèvement et implantation du sperme, parfois avec fécondation in vitro. « C’est comme ça que tu as été conçu, mais ne t’inquiète pas, tout ceci est naturel »… Vous vous voyez expliquer cela à un enfant ? Toute une activité techno-médicale sophistiquée pour contourner la nature ! Soit. Mais après on voudrait dire que cela est naturel, qu’il n’y a là rien à redire, ce qui compte ce sont les sentiments, l’engagement, le projet parental… Bien sûr, les concepts de « père » et « mère » sont encore solidaires d’une convention idéologique d’un ordre appelé peut-être à être dépassé. Mais que comprendra l’enfant de tout cela ? Beaucoup de tendresse et d’intelligence peuvent venir au bout de cette étrangeté, c’est possible. Mais qu’on ne vienne pas dire qu’il n’y a là rien de spécial, que tout est pareil.

S’inscrire dans une lignée et une généalogie n’est pas aussi indispensable que l’air que l’on respire mais c’est reconnu quand même comme un besoin et un désir non négligeable concourant à la construction de la personne et son identité.

Or, les filiations, les lignées, les parentalités sont parfois interrompues, brisées ; et cela par des guerres, des déportations, des famines, des calamités ou des circonstances de la vie individuelle. Heureusement, des familles veulent adopter, et heureusement les capacités de résilience des humains sont grandes. Mais, lorsque aucune catastrophe n’est venue contraindre, aucune stratégie de survie ni situation d’urgence ni état d’exception ne sont venus ravager les vies et forcer les personnes à abandonner des enfants et à la société de trouver des voies de sortie alternatives, comment justifier ces opérations ? Faut-il que par choix, par préférence, certaines situations viennent ajouter des coupures généalogiques artificielles ?

Le problème posé par le recours à la PMA semble ainsi intimement lié à l’impossibilité pour l’enfant de retrouver sa généalogie biologique, si toutefois cela venait à être une nécessité à un moment de sa vie. Situation qui est due à une législation actuelle et rend problématique aussi bien le recours à ces techniques par des couples hétérosexuelles actuellement.

L’anonymat des dons, dans le cas d’engendrement, est une violence pour certains enfants. Une position conséquente serait de présenter un projet de modification de loi adossé à celui du droit à la PMA pour des couples homos (s’il devait être inclus) établissant la garde en lieu sûr des données permettant à chacun de retrouver ses traces génétiques. Autrement dit, abolir en même temps l’anonymat du don de sperme, et cela pour tout le monde. Seul ainsi serait garantie la liberté de l’enfant  à se faire sa propre idée de sa filiation et de se reconstruire comme il l’entendra, si jamais le choix novateur de ses parents venait à lui poser de problèmes, ce qui n’est ni sûr ni exclu. Cela entrainerait une chute des dons ? Et alors ! Si c’est le cas, c’est le prix à payer pour une situation éthiquement acceptable.

Des couples masculins pourraient aussi faire appel à une mère porteuse dans le cadre de la « gestation pour autrui » (GPA), avec le désir de garder un rapport génétique avec l’enfant avec l’un des membres du couple (lequel ?). En dehors du fait que les mères porteuses sont interdites en France (principalement pour parer à l’usage commercial du corps), cela implique une coupure, parfois dramatique, entre une mère biologique et un enfant qu’elle a fait venir au monde. Si ce lien pouvait être maintenu et à disposition de l’enfant s’il le désire, l’objection éthique est moins consistante bien que le problème juridique reste. Une chute des mères porteuses disponibles serait aussi possible mais tout autant non pertinente pour le raisonnement éthique.

Une dernière considération utilitariste met en rapport l’option pour la PMA avec l’adoption que de ce fait on ne choisit pas (sous-entendu que cette dernière est autorisée). « Faire » un enfant par PMA équivaut, certes d’une façon très indirecte, à ne pas adopter un autre enfant, orphelin, dont l’existence n’est pas à être justifiée ni le fait que ses filiations sont déjà rompues. Bien sûr, les couples peuvent mettre en avant qu’ils ne doivent rien à personne ou simplement la liberté, mais cela ne devrait pas être occulté dans la considération de l’ensemble.

Encore une fois, des écrits d’avant-garde présentaient des matériaux de pensée aptes à justifier des expériences de vie alternatives[11], des projets de rupture et de rébellion mettant en question les équations trop faciles du naturalisme conservateur de la parentalité hétéro-normée, y compris des vies et des filiations que la simple adoption ne permettra, des nouvelles fratries et des nouveaux liens. Mais rien de cela dans les arguments pour le droit à l’adoption et la PMA. Je vois mal ces associations et militants pour le mariage pour tous et le droit à l’enfant, utiliser des philosophies du post-humanisme, tout en affirmant que c’est banal et que rien ne sera bouleversé.

Ces philosophies pourtant existent et ne sont pas dépourvues d’intérêt et en défaut d’arguments. On pourrait même invoquer Kant comme étant à l’origine : pourquoi la nature devrait-elle être la référence pour les conduites humaines ? N’est-ce pas la capacité à s’extraite de la nature (ne pas suivre ses inclinations) qui fonde l’autonomie (et partant, la dignité) de l’humain ? Et dans ce sens, pourquoi les règles de la parenté, dont l’ethnologie n’arrête pas de nous montrer la grande diversité d’invention des différentes cultures, devraient être toujours soumises à l’engendrement naturel hétérosexuel et la filiation (et l’éducation) qui s’en suit devrait aussi continuer à être ainsi normée ?

Pour des nouvelles vies des nouvelles voies, pour des nouveaux choix choisissons l’inconnu. Mais arrêtons de dire que ce n’est rien, que ce sera comme avant. Rien de nouveau ne s’obtient sans risque et quand c’est le cas, c’est que cela ne valait pas la peine.

Conclusions

Entre le droit et le politique, à l’interface de l’éthique et de la psychologie, de la déontologie médicale et des nouvelles anthropologies, certaines questions sont son plus faciles à répondre que d’autres. D’abord le mariage, c’est oui, pour tous ceux qui le choisissent. L’égalité en dépend. Mais l’égalité n’est pas la clé des autres questions, elle s’arrange mal des asymétries et de la nouveauté que ces options introduisent.

L’adoption c’est oui, avec des réserves et des questionnements. Mais quelle option ne l’est pas dans le domaine de la morale ? C’est parce que la société est là, c’est parce que les institutions sont là et la première d’entre elles celle qui règle et attribue les adoptions, et qui doit assumer le calcul utilitariste du bonheur possible, du destin de l’enfant à adopter, en dialogue avec le couple adoptant, qui montre ses qualités et ses motivations, comme c’est déjà le cas pour tout postulant. C’est parce que l’Éducation Nationale est là et qu’elle est obligatoire. C’est parce que le suivi médical des enfants en France est ce qu’il est. Pour tout cela, on ne peut pas nier ce destin possible à ces enfants qui autrement n’auront presque pas de futur. En sachant que comme pour tout le monde, vivre est un risque et vivre bien n’est pas une certitude.

La PMA c’est oui, aussi, mais à la double condition de sauvegarder le droit de l’enfant à retrouver sa généalogie s’il le souhaite (par une modification de la loi existante), et d’assumer que cela entraine un changement majeur de perspective, qui cela déplace les bornes et les filiations et fait bouger les lignes vers un post-humanisme assumé. Dans un tel choix, des formes nouvelles de vie, de parentalité, des chemins nouveaux de construction familiale qui ne manqueront pas de susciter des nouveaux récits et à terme de nouveaux ordre symboliques, ne peuvent être jugées à l’aune de ce qui a été, ni avec la peur de l’inconnu pour conseil ni le préjugé pour critère. Elles méritent une chance, une place dans le règne du possible, à défaut de s’imposer dans l’évidence du souhaitable.

Les opposants à ces projets disent qu’ils n’en veulent pas justement parce que cela entraine des changements majeurs. Il ne faudrait pas le nier, ça serait incohérent. Il faudrait affirmer que nous voulons ces changements.  À condition que ce soit le cas, évidemment.

Il n’est pas sûr que la société soit mûre pour un tel saut. Mais la maturité d’une société n’est pas non plus le critère de la valeur des choses. Nous le savons depuis Nietzsche et Max Weber, le domaine des valeurs est un terrain de création et de combat, et la difficile équation entre la liberté et la responsabilité, un défi, que l’on ne peut affronter sans audace et générosité.

 Daniel Ramirez (Décembre 2012)

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