Un code d'éthique politique

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Nous assistons, depuis quelque temps, à une « déferlante éthique » : on débat sur la « bioéthique », les professions (architectes, chirurgiens-dentistes, médecins, policiers, sages-femmes, vétérinaires, pharmaciens...) se dotent de « codes de déontologie », même les entreprises privées édictent des « chartes éthiques » ; on peut citer, par exemple, la charte éthique d'Auchan qui indique qu'il ne faut pas « accepter les cadeaux d’un fournisseur, à titre personnel » et que les déjeuners offerts « ne peuvent être qu’exceptionnels, après accord de la hiérarchie ». Aujourd'hui, chaque secteur, chaque filière, chaque profession réclame une moralisation nouvelle. Ce besoin s'explique par l'évolution rapide de la société qui se trouve face à des règles morales désuètes et inadaptées à la vie contemporaine.

Il y a pourtant une activité qui, jusqu’à maintenant, a échappé à ce besoin d’éthique : la politique. Non seulement, les acteurs politiques ne se sont pas dotés d'un code de bonne conduite, mais ils ne semblent jamais vouloir poser la question d'en avoir un. Pourtant ces acteurs politiques sont très exposés aux dérapages ; ils gèrent des budgets colossaux et, de ce fait, les moins scrupuleux risquent d'être tentés de confondre l'intérêt général avec leur intérêt personnel (ou l'intérêt personnel de leurs proches). Les politiciens sont également exposés par leur pouvoir qui, finalement, a peu de contrôle.

Cette situation paradoxale est décalée avec l'attente du public, chaque nouvelle affaire mettant en cause des ministres ou des élus accentue la méfiance voire le désintérêt des électeurs vis-à-vis du monde politique. La dignité et la vertu d'un homme politique est pourtant une priorité pour l'ensemble d'une nation, cette probité est un exemple fondamental pour le bon fonctionnement d'un système politique. L'exemplarité permet l'identification et l'adhésion aux actions des leaders politiques, elle construit une fraternité positive tout spécialement sur la jeunesse qui autrement se trouve démotivée. Le risque de ne pas posséder d'idéal est un risque considérable qui apporte le désoeuvrement et conduit au nihilisme.

Les sondages d’opinion relatent élections après élections le délabrement de la confiance des Français dans leurs élus. A ce titre, le Sénat et l’Assemblée nationale font figure de mauvais exemples tant en terme de privilèges que sur le plan de certains égarements largement relayés par les médias.

Les mouvements pluriels des indignés est une posture morale. Sans proposer de solutions concrètes, ces mouvements de révolte manifestent contre des pratiques inacceptables. L'affirmation qui s'en dégage est « Nous ne voulons plus de cela, plus jamais, c'est indigne de la personne humaine ». Ces témoignages sont émouvants, ils éclatent spontanément dans beaucoup de capitales occidentales.

La nécessité d'une meilleure confiance envers les hommes politiques est partout perceptible. Aussi, est-il légitime de s’interroger : comment réconcilier l'éthique et la politique ? Et quelles sont les différentes options que nous pouvons mettre en oeuvre pour rendre plus éthique la vie politique  :

La loi actuelle est insuffisante sur de nombreux points :

  • - L'immunité qui protège les parlementaires et le président de la république (certes avec des recours mais sans disposer d'une procédure de destitution) semble excessive. Ces protections mettent les élus nationaux dans une situation tellement favorable qu'ils peuvent ressentir un sentiment d'impunité qui les pousse à des transgressions indignes de leur statut.

  • - Les délits de corruption et surtout de conflit d'intérêt sont peu pénalisés alors qu'ils sont des trahisons de la cause publique.

  • - La transparence de tous les revenus, primes et défraiements des acteurs politiques peut s'appliquer complètement.

  • - L’exigence de transparence des comptes publics de l'Assemblée Nationale et du Sénat doit être appliquée, ne serait-ce que pour lever certaines craintes concernant l’octroi des marchés publics, l’utilisation des crédits parlementaires, les modalités et critères de distribution de la réserve parlementaire.

Pourquoi ne pas également ouvrir aux citoyens la possibilité de suivre les délibérations de la questure, de donner leur avis sur certains textes, voire prendre d’autres mesures, symboliques mais néanmoins utiles, pour progresser vers une démocratie plus collaborative avec les élus?

  • - Diverses questions qui touchent directement les élus eux-mêmes nécessitent des règles permettant un meilleur fonctionnement démocratique : cumul des mandats, réforme du Sénat, suppression des Conseils Généraux, actualisation démocratique des découpages électoraux, refonte des listes électorales, etc.

Mal appliquées, nombre de lois sont votées en bonne et dûe forme avec les effets d'annonces démagogiques qui les accompagnent mais ne sont jamais mises en application (les décrets d'application ne sortent jamais). D'autre part, les tribunaux n'ont pas les moyens suffisants pour appliquer la loi. Nous voyons ces dernières années que quantité d'affaires graves n'aboutissent pas à des condamnations. Suite à des pressions des cabinets ministériels sur les magistrats ou bien suite à des désaisissements de dossier d'un tribunal au profit d'un autre tribunal « plus indulgent » ou bien encore de la lenteur de la justice qui attend que les « mis en examen » soient âgés et deviennent intouchables. D'ailleurs, la France est régulièrement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour la durée excessive de ses procès. Ainsi les affaires de corruption de rétro-commissions d'emplois fictifs, de subvention des partis politiques illégaux par mallettes de billets n'aboutissent que très rarement.

D'autre part, la loi ne peut pas tout réglementer et on peut très bien susciter un comportement déterminé sans recourir à la Loi. Les partis politiques peuvent impulser des idéaux dans le domaine de l'éthique de leurs élus.

Chaque parti politique est porteur de valeurs qui symbolisent son orientation ; ainsi, certains sont progressistes et prônent une meilleure justice sociale, d'autres sont attachés aux traditions ou bien d'autres encore fervents supporters du libéralisme économique ou du nationalisme. De cette façon, les partis politiques peuvent oeuvrer en définissant et en mettant en place des règles de fonctionnement régissant leurs membres plus contraignantes que les lois existantes. Dans cette direction, plusieurs partis semblent s'orienter mais encore timidement. La popularité de ces partis pourrait s'accroitre en reconnaissance de leur éthique partisane.

Un exemple, la circulaire de Michel ROCARD du 25 mai 1998 constituait un véritable code de bonne conduite destiné aux membres du gouvernement. Elle contenait des préceptes très intéressants : il faut « élaguer les dispositifs juridiques de leurs règles désuètes ou inutilement contraignantes » (faire des lois claires et nécessaires), il convient de préférer « le constat de l'action à l'annonce de l'intention » (refus des effets d'annonce), la désignation des titulaires d'emplois publics doit se faire « sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » (refus du « spoils system »). Depuis cette circulaire, plus rien.

Sous un autre angle, l'éthique personnelle de chacun, variant par la nature et la qualité de son éducation, de sa culture, de ses croyances religieuses ou philosophiques, personnalise chaque élu. Ainsi, le respect de la parole donnée, la dignité, le respect de la vie humaine, le respect de la nature, sont des vertus qu'il est bon de connaître et d'évaluer au moment des choix individuels des candidats aux élections.

Il est toujours choquant d’entendre des élus dire qu'il faut « aller rencontrer les gens dans les cages d'escalier ». Cela veut dire quoi ? Que certains élus sont obligés de faire un effort pour rencontrer des citoyens ? Qu'ils habitent dans un endroit isolé et que, de temps en temps, ils vont faire une sorte de « safari électoral » pour voir à quoi ressemblent les citoyens (surtout quand ces mêmes citoyens vont prochainement devenir des électeurs) ? On sait où cela nous conduit : à avoir des députés qui ignorent le prix d'une baguette de pain, un Président de la République qui n'a jamais entendu parler de la souris d'un ordinateur… Bref : cela nous donne des élus qui sont de véritables extraterrestres !

Il est imaginable qu'un code d'éthique politique se constitue et soit ratifié individuellement par des élus ou collectivement par certaines familles politiques.
L’argument que l’on pourrait opposer à la création de ce code d'éthique politique est simple : ce code n'aurait aucune valeur juridique. Après tout, pour réglementer les comportements des acteurs politiques, on pourrait penser qu’il suffit de modifier la Loi… J’entends le mot « Loi » au sens large, c'est-à-dire l'ensemble des normes (les lois faites par le Parlement mais aussi les décrets et les arrêtés).
Ce raisonnement permettrait de faire l'économie d'un débat sur la question mais il n'est pas complètement convaincant car, d'une part, la Loi ne peut pas tout réglementer et, d'autre part, on peut très bien susciter un comportement déterminé sans recourir à la Loi.

Force est de constater que l'on arrive quelquefois à imposer des comportements sans loi et, paradoxalement, avec plus d'efficacité que s'il y en avait une.

La simple transmission d'informations peut suffire à modifier les comportements. Un étiquetage avertissant qu'un produit contient des OGM ne serait pas sans incidence sur le comportement des consommateurs. D’ailleurs, l'activité de base de tout lobby est justement la transmission d'informations à des décideurs qui en sont parfois dépourvus.
Il est également possible de modifier les comportements par de simples arguments, en faisant appel à la raison ou au bon sens. On a tendance à tout vouloir réglementer, mais il suffit parfois de prendre la peine et le temps de convaincre. C'est dans cette logique que fonctionnent le Médiateur de la République et le Conciliateur de Justice qui parviennent à débloquer un grand nombre de situations conflictuelles sans avoir recours à des lois ou à des juges.

Il est possible d'établir des règles de conduite sans loi, c'est même la définition de l'éthique perpétuellement en évolution. Ainsi, même s’il n'existe pas formellement de droit international, il y a des prescriptions qui sont respectées par un grand nombre de pays dans le monde. C'est ce qu'on appelle la « soft law » (le droit mou) qui est constitué de chartes qui ne sont, ni obligatoires à adopter, ni obligatoires à respecter. Mais lorsqu’un pays ne signe pas une charte, il doit s'en expliquer auprès des autres pays, des médias, de l'opinion publique… La pression est donc forte pour qu'il le fasse. Et une fois qu'il a signé, comme il a engagé sa parole, il sera tenu de respecter ses obligations.

Enfin, on fait parfois des choses justement parce qu'elles ne sont pas obligatoires. Un grand nombre d'entreprises utilisent ainsi comme argument de vente le fait d’effectuer dix fois ou cent fois plus de contrôles que ceux prévus par la Loi. Et dans le domaine politique, où les élus doivent régulièrement convaincre les électeurs, faire ce qui n'est pas obligatoire est un moyen pour eux de se démarquer. Ils peuvent dire : « ce n'est pas obligatoire mais je le fais car j'estime que c'est comme cela que l'on doit faire de la politique ! ».

Pour toutes ces raisons, la mise en place d'un code d'éthique politique pourrait efficacement compléter la Loi, et toutes les initiatives courageuses allant dans ce sens permettront d'apporter à la politique toute la dignité qu'elle doit posséder.

Jean-Christophe Picard, Gérard Vignaux (octobre 2011)